Ce billet de blog, rédigé par Felix Bühlmann (université de Lausanne), revient sur les résultats du «Open Elite Data Project», réalisé entre 2023 et 2025. Il fait partie d’une série de billets consacrée à l’actualité de l’Open Data dans les sciences humaines et sociales en Suisse, produite à l’occasion du colloque infoclio.ch 2025 «Historiciser l’Open Science». La série présente divers projets récents, signale des ressources accessibles en ligne et propose des réflexions sur le sujet.
L'Observatoire suisse des élites (OBELIS) entretient une base de données qui rassemble des informations détaillées sur plus de 40 000 membres des élites politiques, économiques, culturelles et universitaires suisses entre 1890 et 2020. Elle inclut des données sur les origines sociales, la formation, la carrière, les grades militaires, les fonctions au sein de comités et d'associations, les distinctions et les relations familiales des élites suisses. Reliée à d'autres plateformes de données nationales et internationales (Dodis, Dictionnaire historique de la Suisse, metagrid.ch), elle sert de base à un grand nombre de projets de recherche internationaux et diversifiés.
L'objectif du « Open Elite Data Project », financé par swissuniversities dans le cadre de son programme Open Science, était de 1) rendre la base des données OBELIS compatible avec les principes FAIR (Facile à trouver, Accessibles, Interopérables et Réutilisables) et les bonnes pratiques en matière de Open Research Data (ORD) ; de 2) renforcer la communauté scientifique, journalistique et citoyenne qui étudie les élites et de 3) contribuer au développement d’un modèle de données d’un projet international - la World Elite Database (WED). Dans le cadre du projet nous avons établi un nouveau standardrelatif à la gestion et à l'utilisation des données ODR dans les grandes bases de données prosopographiques en sciences sociales. La World Elite Database, qui permet à une vaste communauté internationale de chercheurs de comprendre les défis politiques, économiques et environnementaux en étudiant les élites, leurs décisions et leur influence, est appelée à devenir une ressource essentielle pour de nombreuses initiatives journalistiques et organisations non gouvernementales.
Grâce au « Open Elite Data Project » nous avons fait d'importants progrès dans la mise en conformité de la base de données OBELIS aux principes FAIR. Sur le site de consultation, nous avons mis en place des identifiants uniques et un versioning des données qui permet à l’utilisateur ou l’utilisatrice d’en vérifier l’actualité. Les données ouvertes (ORD) sont désormais accessibles à la communauté scientifique sur le répertoire SWISSUbase – une infrastructure qui est mise à disposition par FORS, le centre de compétences en sciences sociales en Suisse. Ces deux vitrines de données ont fait l’objet d’une campagne de communication digitale et nous mettons désormais à disposition des outils de visualisation des données pour les journalistes, les citoyennes et les citoyens. Effectivement, notre site de consultation est visité par un grand nombre d’utilisateurs : des historiennes, des journalistes, des généalogistes amateurs – mais aussi des élites elles-mêmes. Nous avons également contribué à renforcer la communauté scientifique étudiant les élites, en organisant en 2024 une summerschool à Lausanne avec la participation de 27 doctorantes et doctorants internationaux.

Dans le cadre du « Open Elite Data Project » nous avons aussi transféré notre expertise et notre expérience à un projet d’envergure plus internationale : la World Elite Database. Ce projet rassemble entre-temps 100 chercheuses de 23 pays (avec notamment les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Turquie, etc.) et a pour objectif de produire des données harmonisées et comparables sur les élites économiques globales. En mars 2025 un « article fondateur » de WED (avec 65 autrices et auteurs) a été publié dans le British Journal of Sociology et a connu un écho médiatique mondial. L’harmonisation et la gestion des données WED se fait par le système de data management open source Heurist. Parallèlement nous avons mis en route une gouvernance et des procédures qui permettront d’intégrer de nouveau pays-membres à l’avenir. Nous avons aussi amorcé, aidé par le service juridique de l’UNIL, un contrat de consortium et formulé une stratégie d’utilisation des données conforme aux différents régimes de protection de données.
La question de la protection des données est en effet un point central de notre projet. D'une part, notre objectif était de favoriser la communauté scientifique et de mettre nos données à la disposition de nos collègues de la manière la plus ouverte et la plus libre possible. D'autre part, nous avons été confrontés à un durcissement des directives éthiques et à des exigences accrues en matière de protection des données, notamment avec l’introduction du règlement général sur la protection des données (RGPD) au niveau Européen. Les élites sont certes des personnalités publiques sur lesquelles d'innombrables informations sont facilement accessibles dans les ouvrages de référence et sur Internet, mais elles ont néanmoins droit à la protection de leur vie privée. Les données sur les élites sont notoirement difficiles à anonymiser, et l'anonymisation les prive souvent de leur valeur scientifique. C'est pourquoi, en collaboration avec le service juridique de l'UNIL, nous avons tenté de développer une stratégie offensive et transparente de non-anonymisation des données d'élite. Pour le moment, cette stratégie semble fonctionner dans le contexte helvétique – nous l’expliquons sur notre site de consultation dans la rubrique « Politique de gestion des données de l’OBELIS ». Or pour WED, qui regroupe des pays aux cadres juridiques et aux cultures juridiques très différents, nous devons probablement nous en éloigner. Notre expérience des dernières années montre que les choses évoluent et que le vent peut tourner. Il nous semble important que la science parvienne à trouver sa propre approche éthique, mais aussi critique, face aux exigences en matière de protection et d'accessibilité des données.