Enfermées-invisibilisées : Paroles et trajectoires de mineures dans les lieux d’enfermements au XXe siècle

Autore del rapporto
Claire
Hoffmann
Bibliothèque de l'Université de Genève
Citation: Hoffmann Claire: « Enfermées-invisibilisées : Paroles et trajectoires de mineures dans les lieux d’enfermements au XXe siècle », infoclio.ch Tagungsberichte, 04.08.2025. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0369>, consulté le 08.08.2025

Responsabilité : Joëlle Droux / Camille Jaccard

Intervenantes et intervenants : Olivia Vernay / Amélie Rabine / Sandra Rebecca

L’historiographie n’a commencé que récemment à réellement s’intéresser aux personnes mises à ban de la société, notamment à cause de la rareté des sources primaires disponibles, en particulier pour des catégories d’âge, de genre ou encore d’état mental minoritaires. En outre, il est nécessaire de recourir à une approche interdisciplinaire pour analyser au mieux les enjeux présentés dans les interventions de ce panel : les mineures enfermées entre le XXe et le XXIe siècle. Ainsi, les présentations se veulent à l’intersection de plusieurs disciplines, de la même manière que leur sujet d’étude se trouve à l’intersection de nombreux facteurs invisibilisants.

La première intervention porte ainsi sur les jeunes filles placées dans des foyers de réhabilitation en France entre 1965 et 1975. Pour AMÉLIE RABINE (Paris), il était important de pouvoir analyser les trajectoires de vie de ces femmes en appuyant sa recherche sur différentes sources. Ainsi, en plus de l’étude de documents administratifs, l’historienne a également mené des entretiens avec ces femmes, mêlant ainsi récits de vie et analyse de documents d’archives. Il ressort de sa recherche que le moment du placement est vécu comme un véritable abandon pour ces jeunes filles. Pour la plupart issue de la classe ouvrière, elles sont considérées comme des mauvaises élèves et leur mère est décrite comme fautive de ces blâmes. Ces femmes se retrouvent alors enfermées, forcées à se soumettre ; elles aménagent à leur manière des espaces de liberté, soit en transgressant les règle, comme en menant des amours lesbiennes entre pensionnaires, ou en vivant par procuration des évènements extérieurs. Il ressort également des recherches de Rabine que ces femmes, une fois le placement fini, veulent s’émanciper et développent un rapport particulier à l’oubli. Cet oubli se fait soit volontairement, en cachant leur passé à leurs partenaires ou à leurs enfants, ou bien inconsciemment, notamment à cause de traumatismes. De nos jours, ces femmes souhaitent ainsi demander justice tant sur le plan individuel que collectif.

Ramenant le panel dans un contexte helvétique, SANDRA REBECCA (Bâle) analyse les discours autour des placements de jeunes filles mineures au sein de Frenkendorf, une institution dont le statut est encore discuté de nos jours. Sa méthodologie, tant qualitative que quantitative, consiste à analyser des documents d’admission de l’institution Frenkendorf, qui accueillait des filles âgées entre 6 et 16 ans entre 1876 et 1976. Si les premiers documents d’admission ne détaillent pas de motif spécifique justifiant l’entrée d’une pensionnaire, dès 1911, de nombreuses raisons font leur apparition. Parmi celles-ci, certaines laissent entendre que les raisons de l’enfermement de ces jeunes filles étaient liées au fait qu’elles auraient pu devenir des victimes de situations dangereuses, comme des abus sexuels, ou être elles-mêmes responsables de méfaits, comme des vols par exemple. Dès 1920, cependant, un changement peut être observé dans les motifs d’admission. Ainsi, alors qu’auparavant elles étaient considérées comme victimes de l’absence de leurs parents, à partir du début du XXe siècle, le fait de ne plus avoir de parents semble devenir un motif de blâme. Pour illustrer ceci, Rebecca utilise le cas d’une pensionnaire de Frenkendorf dont la mère était alcoolique. Ainsi, si ce premier point apparaît dans les documents comme un premier motif d’admission, qui vise à protéger la pensionnaire, les deux motifs suivants laissent entendre que la jeune fille est également un danger pour elle-même. En effet, selon le document d’admission, son intérêt pour la gent masculine pourrait être dangereux pour la réputation de sa famille d’accueil. En outre, son résultat au test Binet-Simon1 laisse entendre qu’elle est incapable de se conformer à la société et qu’elle doit être protégée contre elle-même. Ce dernier motif, observe Rebecca, devient de plus en plus fréquent dans les années 1930 et 1940.

OLIVIA VERNAY (Genève) s’est concentrée sur des cas de jeunes filles internées de force et victimes de mesures coercitives dans des hôpitaux psychiatriques. Après une mise en contexte des aspects légaux, Vernay a expliqué que le but de sa recherche était de documenter les expériences vécues des personnes enfermées dans des institutions psychiatriques et de proposer des solutions pour la pratique de psychiatrie sans violence. Sa recherche consiste en des entretiens avec plusieurs femmes, issues de différents milieux, ayant connu une violence à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre familial qui les a menées à des fugues, à des tentatives de suicides, etc. Dans le cadre de leur enfermement psychiatrique, ces femmes disent avoir subi une répétition de cette violence. Certaines parlent de violence institutionnelle ; elles se voyaient administrer des médicaments de force notamment. Ainsi, ces femmes ont développé des stratégies de résistance, un aspect déjà relevé dans l’intervention de Rabine. Vernay explique comment ces mineures enfermées se trouvent à l’intersection de beaucoup de facteurs invisibilisants et voient donc leur parole réduite au silence.

Ces trois interventions illustrent comment des mineures voient leur histoire et leur parole mises de côté. La répartition temporelle des témoignages permet également de mettre en lumière le fait que ces problématiques ne sont pas récentes. Elles prennent racine dans des contextes institutionnels où non seulement les femmes mais les femmes mineures sont perçues comme dangereuses autant pour elles-mêmes que pour la société et sont ostracisées des sources et donc de l’Histoire.

  • 1Le test Binet-Simon, développé en 1905, était une manière d’évaluer l’intelligence d’un individu ainsi que son âge mental.
Manifestazione
Siebte Schweizerische Geschichtstage
Organizzato da
Schweizerische Gesellschaft für Geschichte
Data della manifestazione
-
Luogo
Lucerne
Lingua
Francese
Report type
Conference