Le 18 février 1984, le président du Gouvernement jurassien François Lachat pousse un potentiomètre en vieille ville de Delémont. Ce geste, apparemment anodin, aura de grandes implications. Il vient en effet de donner formellement naissance à Fréquence Jura aux oreilles de l’auditorat jurassien.
La création de la radio jurassienne intervient dans un contexte très particulier, où se croisent deux lignes de force : d’un côté, le mouvement européen qui remet en question le monopole des radios nationales sous la pression duquel le Conseil fédéral ouvre le paysage radiophonique suisse à un certain nombre de radios locales en 1983 ; de l’autre, l’entrée en souveraineté du Jura en 1979, résultat de la lutte pour la création d’un canton menée par les autonomistes, une entrée en souveraineté qui suppose la nécessaire construction d’une identité cantonale jurassienne alors que bon nombre de Jurassien·ne·s n’ont pas plébiscité le nouvel État.
Nous nous questionnons, dans ce travail, quant à la manière dont Fréquence Jura participe, entre 1984 et 1999, à la construction de cette identité cantonale jurassienne, concept que nous dérivons de celui d’identité nationale. Pour ce faire, nous nous appuyons notamment sur des entretiens menés avec les fondateurs et anciens rédacteurs en chef de la radio, ainsi que sur ses archives, tantôt sonores, tantôt « papier ».
Ce mémoire se décline en trois chapitres distincts. Le premier met en lumière les structures européennes, helvétiques, romandes et jurassiennes dans lesquelles Fréquence Jura naît, se fait une place et évolue, ainsi que les actrices et acteurs qui la portent, qui ont pour beaucoup participé directement au combat autonomiste. Le second chapitre démontre d’ailleurs que la ligne éditoriale sérieuse, locale et très identitaire de la radio jurassienne explique en partie l’énorme succès qu’elle rencontre, elle qui possède le meilleur taux d’écoute parmi les radios locales romandes. Ce succès autorise d’ailleurs la construction active d’une identité cantonale jurassienne à laquelle Fréquence Jura se livre en se faisant miroir et vecteur d’éléments qui entrent en compte dans sa définition, qu’ils soient politiques, culturels, ou encore sportifs. Nous démontrons aussi comment la radio devient elle-même un élément identitaire. Le troisième chapitre illustre le glissement d’une identité jurassienne conflictuelle et revendicative vers un canton à part entière où la Question jurassienne est dissoute parmi le flot des actualités propres à un État qui s’est « fédéralisé », tout comme Fréquence Jura, malgré les efforts que la radio déploie pour avoir une influence dans le Jura-Sud.