Eine Weltgeschichte für die Schweiz?

Autor / Autorin des Berichts
Izabel
Barros
Zitierweise: Barros, Izabel: Eine Weltgeschichte für die Schweiz?, infoclio.ch Tagungsberichte, 11.08.2025. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0365>, Stand: 21.08.2025

Responsabilité : Simon Teuscher (Zurich) / Thomas David (Lausanne)

Intervenantes et intervenants : Maria Pia Donato (Paris) / Simon Teuscher (Zurich) / Patricia Purtschert (Berne)

Le panel a été organisé autour du projet en cours d'élaboration d'une Histoire mondiale de la Suisse. Le projet s’inscrit dans la dynamique initiée par l’Histoire mondiale de la France et suivie par des initiatives analogues en Italie, en Allemagne et en Espagne. L'objectif est de proposer une lecture renouvelée du passé national à partir d'événements situés en Suisse, tout en les replaçant dans des contextes transnationaux et globaux.

MARIA PIA DONATO (Paris) a partagé son expérience de co-éditrice de la Storia mondiale dell'Italia, le premier projet national à suivre le modèle de l'Histoire mondiale de la France. Dès le départ, l’équipe italienne ne s’est pas contentée de s’inspirer de l’exemple français, mais a voulu aller plus loin en revisitant de manière critique le récit national italien. Elle a expliqué qu'à la lecture de l'ouvrage français, elle avait ressenti à la fois de l'admiration et une certaine lassitude face à la persistance des discours sur la grandeur de la France et son rôle civilisateur. Selon elle, la culture historiographique italienne, marquée par le rejet des mythes nationaux depuis l'expérience fasciste, était particulièrement bien placée pour mener un tel projet.

Le projet a rencontré de nombreux défis : le délai éditorial était très court, ce qui a conduit l'équipe à solliciter la collaboration d'historiens et d'historiennes italiens expérimentés afin d'éviter les retards liés aux traductions. Cette démarche a révélé que de nombreux auteurs et autrices, même chevronnés, manquaient d'expérience en matière d'écriture pour le grand public, ce qui a nécessité un travail éditorial conséquent. L’objectif était de produire une œuvre à la fois accessible et rigoureuse, à l’image du modèle français. Donato a évoqué les questions de fond qui ont traversé le projet : que signifient les termes « mondial » ou « global » ? Peut-on inclure des chapitres sur les périodes qui précèdent la formation politique et institutionnelle de la nation ? De tels projets visent-ils à déconstruire, à renouveler ou simplement à rafraîchir les récits nationaux ?

Selon elle, la richesse des histoires mondiales tient à leur capacité à faire coexister différentes approches et jeux d'échelles. Le véritable défi résidait dans le choix des sujets. Le projet visait à « désenclaver » l’histoire nationale en mettant en lumière des phénomènes de circulation, d’hybridation et de résonance globale, ainsi que des acteurs oubliés ou marginalisés.

Elle a également évoqué le dilemme entre valoriser les imaginaires et symboles et donner la parole aux « âmes invisibles ». Donato plaide en faveur de cette seconde option, plus ouverte et critique, tout en reconnaissant que les imaginaires ont des effets sociaux réels. Elle a conclu en rappelant que l'un des rôles des histoires mondiales est de rendre les avancées et les débats actuels de la recherche accessible au grand public.

SIMON TEUSCHER (Zurich), co-directeur du projet Histoire mondiale de la Suisse, a présenté la structure et la philosophie de l’ouvrage, dont la parution bilingue (français et allemand) est prévue pour 2026. À l'instar des projets français et italien, cet ouvrage rassemblera plus de 100 chapitres courts, organisés chronologiquement et accompagnés d'une illustration. Chaque entrée associe un lieu suisse, souvent ignoré par l'historiographie traditionnelle, à une date précise.

Ce projet vise à repenser l’identité suisse à travers une pluralité de récits inscrits dans des dynamiques transnationales. Teuscher insiste sur l’importance de ne pas raconter l’histoire de l’expansion de la Suisse dans le monde, mais de montrer comment le monde est venu en Suisse, parfois jusque dans ses villages les plus isolés. Cette approche postule que les territoires ne sont pas des entités fixes, mais des constructions historiquement mobiles.

Teuscher s’inspire également d’artistes et de penseurs contemporains pour aborder la complexité de l’identité suisse. Il évoque notamment les rappeurs bernois Native et Pablo Nouvelle, dont une chanson sur les migrantes africaines en Suisse résume l’ambivalence du ressenti national : « Ce qui est le paradis pour les uns est l’enfer pour les autres. » Une formule qu'il utilise pour montrer à quel point les perceptions du pays sont fragmentées en fonction des trajectoires sociales et migratoires. Cette pluralité de regards résonne avec le concept de « random place » développé par l’anthropologue franco-roumain Matei Candea, que Teuscher utilise pour critiquer la tendance de l'histoire globale à présupposer des entités homogènes et qui nous permet d'interroger ce que nous tenons pour acquis sur les habitants d’un lieu et invite à cartographier les strates invisibles d’une mémoire collective.

Pour Teuscher, l’objectif ultime de cette Histoire mondiale de la Suisse est de sortir d’un récit national figé, trop souvent naïf ou discriminant, pour restituer la richesse des trajectoires qui composent la Suisse d’hier et d’aujourd’hui. Loin d'être un simple catalogue d'influences, cet ouvrage se présente comme un espace critique, où les marges deviennent centrales et où la diversité des expériences vécues permet de lire le passé suisse.

Professeure à l'université de Berne et spécialiste des études de genre, PATRICIA PURTSCHERT (Berne), a centré sa contribution sur l'essai emblématique Stranger in the Village de James Baldwin, rédigé en 1951 à Leukerbad. À travers cette réflexion sur le racisme vécu dans un village alpin suisse, Baldwin offre une analyse puissante des dynamiques de pouvoir entre l'Europe et les États-Unis. Selon Purtschert, ce texte ne se contente pas de critiquer le racisme structurel, mais offre également l'occasion de réfléchir à la « créolisation » de la Suisse, un concept inspiré d'Édouard Glissant et développé notamment par l'historien et écrivain Henri-Michel Yéré. Elle a mis en lumière l’importance d’un réseau de réappropriations artistiques et critiques autour de ce texte : un film de Pierre Koralnik dans lequel Baldwin retourne à Leukerbad, une œuvre commémorative de Sacha Huber, ainsi que des contributions de Teju Cole et de l’actrice Ntando Cele, qui témoignent d’une mémoire afro-diasporique persistante. Selon elle, ce faisceau de résonances artistiques et intellectuelles donne accès à une autre narration de la Suisse, en rupture avec les récits nationaux traditionnels. Dans un deuxième temps, Purtschert a partagé quelques réflexions critiques sur l’état actuel du projet. En feuilletant la table des matières, elle a salué la présence de nombreux textes répondant à ses attentes : des histoires connectées au Brésil, au Lesotho, en Inde ou encore aux mouvements indépendantistes. Elle a toutefois souligné certains manques, notamment autour des thèmes queer et féministes, évoquant l'absence de récits sur des centres de formation féminins comme la Villa Cassandra, ou de figures telles qu'Audre Lorde à Zurich. Elle a plaidé pour que les perspectives postcoloniales et queer soient articulées ensemble, en questionnant par exemple le rôle de la Suisse dans la codification coloniale des normes sexuelles et juridiques ou les liens entre homonationalisme et colonialité. Enfin, elle a exprimé son souhait de voir émerger un deuxième volume dans lequel ces pistes pourraient être approfondies.

Le panel a suscité un vif intérêt, comme l'atteste la salle comble et le public engagé. Les échanges ont mis en lumière son potentiel critique : en articulant des approches transnationales, des récits décentrés et des mémoires marginalisées, le projet interroge les fondements du récit national et s'adresse à un large public. Son potentiel n’en sera que plus transformateur, inclusif et réflexif s’il retient les observations de Purtschert ainsi que les expériences partagées par Donato.

Aperçu du panel :

  • Patricia Purtschert : Neuen Entwicklungen in der Erforschung der Geschichte der Schweiz zu Sichtbarkeit verhelfen
  • Simon Teuscher : Das Projekt: Eine Weltgeschichte der Dörfer für die Schweiz
  • Maria Pia Donato : L’histoire mondiale de l’Italie : nouvelles perspectives et quelques malentendus
  • Maia Müller : Modération

Ce compte rendu fait partie de la documentation infoclio.ch des 7es Journées suisses d’histoire.

Veranstaltung
Siebte Schweizerische Geschichtstage
Organisiert von
Schweizerische Gesellschaft für Geschichte
Veranstaltungsdatum
-
Ort
Luzern
Sprache
Französisch
Art des Berichts
Conference