Prisons and Prisoners in the History and Sociology of Knowledge

Autore del rapporto
Antoine
Marquis
Université d’Angers
Citation: Marquis Antoine: « Prisons and Prisoners in the History and Sociology of Knowledge », infoclio.ch Tagungsberichte, 08.07.2025. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0389>, consulté le 09.07.2025

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Le congrès international Prisons and Prisoners in the History and Sociology of Knowledge avait pour objectif d’inscrire l’histoire de la prison moderne telle qu’elle s’est développée à partir de la fin du XVIIIe siècle dans une histoire globale des savoirs. L’ambition scientifique de cet évènement, organisé par ALIX HEINIGER (Fribourg), LAURE PIGUET (Fribourg) et LÉA RENARD (Heidelberg), était de montrer comment les savoirs sur la prison et les prisonniers, produits dans des contextes situés et en fonction d’objectifs différenciés, peuvent devenir eux-mêmes des objets de l’analyse historique, et permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives sur l'histoire du régime carcéral.

La première conférence a été portée par la sociologue GWENOLA RICORDEAU (Chico Californie), qui travaille sur les liens entre idées abolitionnistes et féministes. Sa présentation allie militantisme et recherche scientifique autour de l’impact de la prison sur les parcours de vie des détenus et détenues, en montrant comment la prison opprime les marges de la société et en particulier les femmes ; un argument qu’elle a développé dans un manifeste publié en 20191. Elle décrit également les stéréotypes de genre liés aux fantasmes « homoérotiques » attachés au milieu carcéral, ou encore comment les nouvelles technologies sont mobilisées en prison au détriment des droits humains. Elle a sorti fin 2024, un ouvrage co-dirigé avec SHAIN MORISSE, doctorant en sciences politiques (Paris et Berlin), qui a clôt par son intervention ce congrès.2

L’intervention de KIRAN MEHTA (Leicester), historienne du système pénal de l’Empire britannique, porte sur l’émergence du modèle carcéral en Angleterre entre 1870 et 1940. Sa présentation, basée sur sa thèse publiée en 2025, traite de la façon dont les autorités britanniques ont adopté, graduellement, à partir de la fin du XVIIIe siècle, la prison3. Il s’agit d’une histoire observée du point de vue des détenteurs du pouvoir carcéral qui mettent en place ce nouveau régime de peines, et qui met en avant les interactions entre les différents acteurs : policiers, magistrats, criminologues. Le modèle britannique, à la fin de l’époque moderne, s’impose comme un modèle ultérieurement copié par l’ensemble des puissances occidentales et coloniales, et repris comme référence, encore aujourd’hui, par la plupart des régimes pénaux du monde.

La contribution de VIVIANE BORGES (Santa Catarina), présente une histoire écrite « par le bas » de la vie carcérale au Brésil à travers les témoignages de détenus collectés à partir des années 1930, dont 4200 dossiers et près de 500 documents manuscrits conservés dans les archives de la prison de Florianopolis4. Ces archives traitent, de manière non exhaustive, de l’importance de la bureaucratie entre périodes de dictatures et instabilités politiques, de la criminalisation des classes populaires et du mélange de personnes considérées par l’administration comme « dangereuses » avec des détenus de droit commun. Ces aspects sont rendus vivants par les témoignages des concernés et les « micro-résistances quotidiennes » au système pénitentiaire, alors extrêmement dur au Brésil.

La deuxième section sur l’enfermement en contexte colonial s’ouvre avec la prise de parole de NADIA BISKRI BERKANE (Paris) sur le travail pénal et la colonisation en Algérie. Elle y reprend certains éléments de sa thèse soutenue fin 20225. Elle rappelle certains fondamentaux historiques comme le Code de l’indigénat6 et la diversité des statuts juridiques des colonies françaises, allant du protectorat à la colonie de peuplement. Elle montre précisément le rôle central que joue le travail forcé et le système carcéral pour le processus colonial. Elle met en évidence l’importance de l’agriculture dans ce système en Algérie au détriment d’autres secteurs d’activité comme l’industrie, réservée à l’Hexagone.

KAI FLORIAN HERZOG (Hambourg) développe une réflexion parallèle sur le cas d’une colonie allemande : le Grand Namaqualand, une région désertique partagée aujourd’hui entre la Namibie et l’Afrique du Sud. Il met en évidence le paradoxe entre une colonisation allemande commencée en 1884 qui se veut économiquement rationnelle et rentable, mais qui s’impose par le développement d’un système concentrationnaire anarchique et brutal7. Cela aboutit au génocide des peuples qui leur ont résisté, notamment les Héréros et les Namas, entre 1904 et 1908.

La troisième section porte sur le lien entre santé et système carcéral. CAROLINE MONTEBELLO (Genève) présente les résultats de sa thèse, soutenue le 4 juin dernier8, sur les travaux de l’anthropologue d’Eugène Pittard et de son équipe. Elle prend l’exemple d’une enquête anthropométrique, réalisée à l’occasion d’une campagne de transfusion sanguine menée par la Croix-Rouge sur des internés militaires en Suisse entre 1944 et 1945. Cette enquête, qui présente des biais racistes à l’endroit des juifs et des réfugiés d’Europe de l’Est, interroge la réception de l’œuvre d’Eugène Pittard, considéré comme l'un des fondateurs de l’anthropologie moderne et un précurseur dans sa manière d’expurger certains préjugés de la discipline au début du XXe siècle.

La présentation d’OXANA KOSENKO (Ulm) permet d’avoir un jalon réflexif sur le lien entre système carcéral et régimes totalitaires à travers l’exemple de la RDA des années 1970. Son travail sur les soins prodigués aux prisonniers politiques à Berlin Est dans les années 1970-1980 s’inspire des thèses foucaldiennes sur la société carcérale contemporaine, en prenant appui sur des témoignages d’anciens détenus de la Stasi9. Elle nuance le rôle des médecins dans ce système répressif hautement hiérarchique, en montrant que ces derniers ne sont pas forcément des tortionnaires et participent à leur niveau aux soins élémentaires.

Toujours dans l’ex-bloc de l’Est, KLARA PINEROVA (Dresde et Prague) montre comment les régimes socialistes tentent de développer leur propre système carcéral. Certains pays de la sphère communiste, dont la Tchécoslovaquie, engagent des réformes dans les années 1960. Pinerova illustre son propos par la création en 1967 dans la prison de Pankrac d’un institut de recherche de pénologie dirigé par Jiri Cepelak. L’objectif est de favoriser la réinsertion des détenus. L’institut incarne un certain nombre d’idéaux du « socialisme à visage humain », et ce même après l’intervention des troupes du pacte de Varsovie en 1968.

NATHALIE DAHN-SINGH (Lausanne), spécialiste de l’évolution du système pénal suisse, ouvre la quatrième session par une présentation sur la production de connaissances sur les conditions pénitentiaires dans la République Helvétique (1798-1803). Elle y décrypte les idées du réformateur anglais John Howard (1726-1790) et du suisse Henri Polier (1754-1821), concernant la nécessité d’humaniser le régime carcéral pour maintenir la cohésion sociale et de prendre en compte les récriminations des prisonniers et prisonnières.

Archiviste au Comité international de la Croix-Rouge, CAMILLE MEYRE (Genève) rappelle l’histoire de son institution, qui trouve son origine en 1863 sous l’impulsion d’Henry Dunant dans le « Comité international de Secours aux militaires Blessés », qui prend en 1876 le nom de « Comité international de la Croix-Rouge » (CICR). Son intervention consacrée aux rapports de visite des délégués du CICR dans les camps de prisonniers lors des deux guerres mondiales a donné lieu à des échanges avec l’assistance sur le type d’archives qui intéresse en général le grand public.

Plus proche de nous dans le temps, ANAIS LEFEVRE (Paris) a évoqué l’évolution du système pénal états-unien et particulièrement l’histoire du « chain gang », une pratique qui rappelle les chaînes de forçats, abolies en France en 1836. Sa présentation aborde la ségrégation sociale et raciale qui règne dans les prisons de l’Etat de Géorgie dans les années 1930-196010. Elle s’intéresse également à l’imagerie populaire associée à ce type de pratiques carcérales honnies.

VALENTINE DEWULF (Bruxelles) analyse trois missions de l’ONU réalisées entre 1952 et 1957 dans les prisons congolaises pendant la colonisation belge. Elle interroge notamment la connaissance de la part des autorités coloniales des nombreux manquements et violences à l’endroits des personnes détenues dans ce système concentrationnaire, comme un rapport en 1956 le pointe du doigt, concernant la prison de Stanleyville, qui qualifie les mises en scènes présentées de véritables « villages Potemkine »11.

La cinquième session revient sur la question de la réforme du système pénal à la du fin XVIIIe et au début XIXe siècle. À travers l’exemple italien, ANDREA GIULIANI et CHIARA LUCREZIO MONTICELLI (Rome) prouvent que la réunification de l’Italie, au moment du Risorgimento, a permis, en quelques années, la modernisation des prisons en adoptant les canons internationaux, influencés par la France et les Etats-Unis12. Deux modèles s’imposent, alors : celui de Philadelphie, dans les régions à majorité protestante, dans lequel les détenus sont maintenus au secret nuit et jour, dans le silence le plus absolu ; celui de Auburn, dans les régions catholiques, où le travail en groupe en journée est favorisé.

ANOUK ESSYAD (Fribourg) développe un propos sur les figures de la science pénitentiaire suisse du XIXe siècle à travers deux modèles d’experts : le couple Otto et Anna Kellerhals, d’une part, qui tentent d’adapter leurs théories dans leur propre colonie agricole à Witzwill ;  Gustav Beck, d’autre part, a une approche purement abstraite, sans lui-même diriger de maison centrale ou colonie agricole. En analysant les actes des congrès pénitentiaires nationaux et internationaux, Essyad montre avec justesse comment des profils de carcéralistes si opposés peuvent, néanmoins, dialoguer. Leur but commun est de faire de la prison le creuset de l’utopie d’une société nouvelle, épurée de ses « déviances ».

ERIN HAZAN (Witwatersrand) a, quant à elle, évoqué les soubassements juridiques du système sud-africain qui institue la ségrégation raciale dans les prisons dès 1911 et des strates extrêmement codifiées de sanctions en fonction des délits commis. Elle prend appui sur la personnalité de Jacob de Villiers de Roos, homme politique blanc sud-africain, ayant organisé en grande partie les bases du système pénitentiaire sud-africain sur le modèle des colonies britanniques avec l’objectif de soumettre les populations non-blanches au profit des Afrikaners13.

Enfin, Shaïn Morisse a retracé la pensée, la trajectoire et l’héritage d’un célèbre abolitionniste, Thomas Mathiesen, figure des mouvements de libérations des mœurs liés à 1968 en Occident, que l’intervenant n’hésite pas à qualifier de « Foucault norvégien »14. Il a été l’auteur d’une intense production intellectuelle et militante jusqu’à sa mort en 2021 qui porte sur l’enfermement et la répression de tout ce que l’ordre social perçoit comme « anormal ». Cette analyse biographique a permis de conclure le congrès sur une réflexion plus générale sur le retour en puissance, à l’époque actuelle, de discours qui remettent en question l’état de droit au nom de notions comme la sécurité ou l’autorité de l’État.

En donnant à entendre les pistes critiques portées par les chercheurs et chercheuses pour repenser les institutions punitives à l’échelle globale, ce congrès international a permis non seulement d’actualiser les savoirs sur l’histoire de la prison, mais aussi de constater les limites actuelles de la pensée et des pratiques carcérales.

 

Aperçu du colloque: 

Session 1 : Agency and knowledge

Ricordeau Gwenola : « Reclaiming space is not enough. Doing research about the prison system as a relative of prisoners and an abolitionist »

Kiran Mehta : « Producing knowledge from inside the prison: England, 1770-1840 »

Viviane Borges : « Incarcerated voices: Writings by common prisoners in the 20th century »

Modération : Cézane Beretta (Fribourg)

Session 2 : Observing penal work in colonial contexts

Nadia Biskri Berkane : « Penal work and the colonization of Algeria »

Kai F. Herzog : « Knowledge, ignorance, violence. Imprisonment, convict labour, and colonial capitalism in Great Namaqualand (1896-1903/04) »

Modération : Léa Renard (Heidelberg)

Session 3 : Science, health and experimentation on detainees

Caroline Montebello : « Anthropology under duress: Sero-anthropological investigations in Swiss internment camps during the Second World War »

Oxana Kosenko : « Between discipline and punishment. Health care for political prisoners in the remand prison of the Ministry of State Security in Berlin-Hohenschönhausen in the 1970s-80s »

Klára Pinerová : « The success and limits of the use of psychological research in Czechoslovak prisons in the years 1967-1980 »

Modération : Alix Heiniger (Fribourg)

Session 4 : Investigating prisons and detainees

Nathalie Dahn-Singh : « Horrible dungeons, of which humanity prohibits all use”. Knowledge production and prison materiality in the Helvetic Republic (1798-1803) »

Camille Meyre : « Capturing war detention: How were International Committee of the Red Cross visit reports turned into searchable data ? »

Anaïs Lefèvre: « "Somebody please come down here”: Investigations of prison work camps and prisoner resistance in the State of Georgia (1930s-1960s) »

Valentine Dewulf : « Investigation, reform and internationalism. Missions in Congolese prisons after the Second World War during the Belgian colonization »

Modération : Anne-Françoise Praz (Fribourg)

Session 5 : Knowledge in reform and abolition movements

Andrea Giuliani et Chiara Lucrezio Monticelli : « Italian houses of correction as a model? Rome and Milan in 18th and 19th century prison tourism and public debate »

Anouk Essyad : « The carceralists. Actors and circulations of a “penitentiary science” at the crossroads of several disciplines » 

Erin Hazan : « "Gradually the features and methods of penal systems of the past are being abandoned”: Jacob de Villiers Roos and the South African Prisons and Reformatories Act of 1911 »

Shaïn Morisse : « Thomas Mathiesen (1933-2021): A life of unfinished action research against prison »

Modération : Laure Piguet (Fribourg et Berlin)

  • 1

    Gwenola Ricordeau, Pour elles toutes. Femmes contre la prison, Montréal, Lux, 2019.

  • 2

    Charbit Joël, Morisse Shaïn et Ricordeau Gwenola (dir.), Brique par brique, mur par mur : une histoire de l’abolitionnisme pénal, Montréal, Lux, 2024 (Instinct de liberté).

  • 3Mehta Kiran, To detain or to punish: magistrates and the making of the London prison system, 1750-1840, First edition, Montreal, Quebec, McGill-Queen’s University Press, 2025 (States, People, and the History of Social Change Series ; Volume 12).
  • 4Viviane Borges, « Confined Collections: Prison Heritage and its Objects (in Brazil an Portugal at the present time », Revista Crítica de Ciências Sociais 124, 2021, p. 27-52.
  • 5Biskri Berkane Nadia, Prison et enfermement punitif en Algérie coloniale : de la conquête au tournant des années 1930, Thèse de doctorat, Paris 1, 2022. En ligne : https://theses.fr/2022PA01H121, consulté le 30.06.2025.
  • 6Le code de l’indigénat est un ensemble de dispositions législatives adopté le 28 juin 1881 pour l’Algérie, puis imposé à l’ensemble des colonies françaises à partir de 1887 et qui confirme en droit l’infériorité des sujets colonisés par rapport aux européens, en leur imposant un système pénal différent. Pour aller plus loin : Blaise Bekale Nguema Gilbert, « Code de l’indigénat et enjeux de citoyenneté : cas de l’Algérie et de l’Afrique », in : Lavou Zoungbo Victorien et Marty Marlène (éds.), Imaginaire racial et projections identitaires, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2009 (Études), pp. 417‑430. En ligne : https://doi.org/10.4000/books.pupvd.31914, consulté le 30.06.2025.
  • 7Herzog Kai F., « Violence and Work: Convict Labour and Settler Colonialism in the Cape–Namibia Border Region (c.1855–1903) », Journal of Southern African Studies 47 (1), 10.12.2020, pp. 17‑36. En ligne : https://doi.org/10.1080/03057070.2021.1861819, consulté le 30.06.2025.
  • 8Montebello Caroline, Constructions et circulations transnationales de l’anthropologie genevoise : du Léman à la mer Noire (1845-1960), Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2025.
  • 9Steger Florian et Kosenko Oxana, « 50 years of the first ethics commission in Germany: the Ulm Ethics Commission in an international perspective », Frontiers in Public Health 11, 15.06.2023. En ligne : https://doi.org/10.3389/fpubh.2023.1197065, consulté le 30.06.2025.
  • 10Lefèvre Anaïs, « “An Enormous Amount of Human Waste”: Self-esteem, Capitalism, and the US Prison, 1973-1989 », Transatlantica. Revue d’études américaines. American Studies Journal (2), 30.12.2020. En ligne : https://doi.org/10.4000/transatlantica.16181, consulté le 30.06.2025.
  • 11Dewulf Valentine, « Enfermement administratif et répression coloniale. Formes et pratiques de la relégation au Congo belge (1910-1960) », Revue belge de Philologie et d’Histoire 97 (2), 2019, pp. 485-520. En ligne: https://doi.org/10.3406/rbph.2019.9284, consulté le 30.06.2025.
  • 12Monticelli Lucrezio Chiara, « The “Roman” and “Catholic” Models of Prison Treatment in a Historical Perspective » dans Andrea Giuliani (dir.), Strategie di popolamento, misure difensive e di sfruttamento economico (Séminaire), 2024, En ligne : https://ergastulum.hypotheses.org/tag/colonie-penali#Lucrezio, consulté le 30.06.2025.
  • 13Linda Chisholm, « Crime, class and nationalism : The criminology of Jacob Villers Roos », Social Dynamics Vol. 13, Issue 2, 1987, En ligne : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02533958708458429, consulté le 30.06.2025.
  • 14SHAIN MORISSE, « Remembering prison struggles from 50 years old », Abolitionnist Futures, 2022, URL : https://abolitionistfutures.com/latest-news/remembering-prison-struggles-from-50-years-ago, consulté le 30.06.2025.
Manifestazione
Prisons and Prisoners in the History and Sociology of Knowledge
Organizzato da
Alix Heiniger (Fribourg), Laure Piguet (Fribourg / Berlin), Léa Renard (Heidelberg)
Data della manifestazione
-
Luogo
Fribourg
Lingua
Tedesco
Francese
Inglese
Report type
Conference