Tipo di ricerca
Tesi di master
Stato
abgeschlossen/terminé
Cognome del docente
Prof.
Anne-Françoise
Praz
Istituzione
Histoire contemporaine
Luogo
Fribourg
Anno
2017/2018
Abstract
Dans l’immédiat après-guerre, la position dominante du champ social de l’alpinisme (au sens où l’entend Pierre Bourdieu) en Suisse romande est occupée par les alpinistes issus de la bourgeoisie cultivée. Les discours tenus dans les revues du Club alpin suisse, dont ils composent les instances dirigeantes, reflètent leurs aspirations et révèlent leur affinité pour l’excursionnisme cultivé – l’élitisme culturel pratiqué par les pionniers. Par le passé, le prétexte scientifique qui servait de justification à la pratique de ce hobby dangereux qu’est l’alpinisme assurait à la bourgeoisie cultivée la domination d’un champ social peu disputé. Mais l’émancipation progressive de la science au profit d’un alpinisme « pour lui-même » a fragilisé la position de cette catégorie sociale. Dans ces circonstances, l’émergence de deux nouveaux groupes d’acteurs représente une concurrence sérieuse et menace la position dominante des alpinistes de la bourgeoisie cultivée.
L’ascensionnisme familial (concept développé par Olivier Hoibian) est directement lié au phénomène que nous nommons dans ce travail « la vulgarisation des Alpes ». Si l’alpinisme reste une activité essentiellement bourgeoise jusque tardivement dans l’entre-deux-guerres, de nouveaux publics investissent la haute montagne, aidés notamment par les nouveaux moyens mécaniques déployés par ce qu’il est de coutume d’appeler l’ « industrie des étrangers » (secteur touristique). Dans un contexte de désenchantement vis-à-vis de la modernité, la bourgeoisie cultivé romande dénonce la construction des infrastructures qui permettent aux indésirables de gagner les hauteurs en même temps que les barrages qui menacent le pittoresque alpin. Un fond de xénophobie alimenté par la peur du socialisme conduit par ailleurs les alpinistes du pôle cultivé à dénoncer une « invasion étrangère » dans les alpages, susceptible de corrompre les honnêtes paysans de montagne tant magnifiés par la mythologie nationale. Il faut en outre avoir en tête que la vulgarisation des Alpes passe également par d’autres biais, tel que le développement du ski alpin, celui de l’avion et des appareils photographique, etc. Tout cela participe de la menace qui plane sur le pôle dominant, celle de se voir rejoint en haute montagne par un public ignorant les préceptes de l’excursionnisme cultivé et perdre face à cette concurrence sociale sa distinction d’alpiniste.
L’émergence de l’alpinisme héroïque dans les années d’après-guerre constitue un risque d’une toute autre nature pour le pôle de la bourgeoisie cultivée. L’avant-garde qui la porte veut imposer de nouvelles valeurs (esprit de compétition, culte de la vitesse et de la difficulté...) et ses propres critères d’excellence liés à la performance technique et physique. Retarder dans son essor par la Grande Guerre, il se manifeste par l’utilisation de nouveaux équipement et au travers de discours peu orthodoxes manifestant de l’intérêt pour des valeurs différentes de celles prônées par les adeptes de l’excursionnisme cultivé. Le regard de ces derniers est d’abord circonspect et l’on juge la quête de difficulté conduite par quelques « acrobates » plutôt normale – à chaque génération ses propres conquêtes. Mais dès lors que les « modernes » se permettent la promotion d’un esprit sportif dans la revue du C.A.S., la ligne rouge est franchie. Les critiques se focalisent d’abord sur les records, la compétition, la vanité des modernes puis sur la surenchère de difficulté et finalement le matériel au moment où une génération de Genevois menée par le clubiste André Roch se met à réaliser des exploits d’une difficulté sans précédent. En parallèle, les alpinistes de la bourgeoisie cultivée tentent d’élaborer un nouveau critère d’élection culturel susceptible de consolider leur position : le sentiment de la montagne. Mais la frénésie des faces nord qui sévira dans les années 1930 achèvera malgré ses drames de consacrer l’alpinisme héroïque aux yeux de l’opinion public.