Sichtbarkeit und Unsichtbarkeit der Gefängnishaft / Visibilité et invisibilité de l’emprisonnement punitif

Author of the report
Gérard
Bottazoli
Citation: Bottazoli, Gérard: Sichtbarkeit und Unsichtbarkeit der Gefängnishaft / Visibilité et invisibilité de l’emprisonnement punitif, infoclio.ch Tagungsberichte, 27.05.2025. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0325>, Stand: 08.08.2025

Responsabilité : Stephan Scheuzger

Intervenantes et intervenants : Alix Heiniger / Stephan Scheuzger

Quelles sont les transformations architecturales des prisons à partir de la fin du XVIIIe et par quelles influences morales et philosophiques sont-elles guidées ? Pourquoi les conditions carcérales, pourtant héritées de ces évolutions, sont-elles contestées dans le dernier tiers du XXe ? Ce panel aborde ces deux questions : la première selon une perspective technique, celle de l’architecture, la seconde selon une perspective politique.

STEPHAN SCHEUZGER (Liechtenstein et Zurich) présente un extrait de son projet de recherche sur l’histoire globale des prisons au cours du XIXe siècle1. Il concentre son exposé sur l’architecture pénitentiaire. Son argument porte sur sa transformation en lien avec l’évolution des peines : la prison devient la forme dominante de la punition, remplaçant les châtiments corporels. Les dispositifs techniques intérieurs rendent simultanément invisibles les conditions d’exécution des peines, ainsi que les prisonniers eux-mêmes, y compris les uns aux autres.

Newgate à Londres (1780) illustre cette transformation pré-moderne : les exécutions capitales sont déplacées de Tyburn, à l’extérieur des murs de la prison. Sous l’influence de réformateurs comme Jeremy Bentham, l’idée de réhabilitation par le contrôle social se concrétise dans l’architecture panoptique. Ce modèle, où le prisonnier isolé se sent constamment observé, vise à induire un comportement attendu. Des exemples notables, même si adaptés de l’idée originale, incluent le Lancaster Castle (1820), Breda (1886), le Stateville Correctional Center (1926) et l’Isla de Pinos (1962).

Le panoptique n’est cependant pas la seule solution adoptée : l’architecture radiale, souvent économiquement plus intéressante, organise les cellules en blocs rayonnants depuis un point central de surveillance. L’Eastern State Penitentiary de Philadelphie (1829) en constitue un exemple, avec ses sept blocs permettant l’isolation de près de cinq cents prisonniers et la création de sections spécifiques. Cette forme inspire également la prison de Pentonville en Angleterre (1842). Sur ce dernier exemple, l’orateur souligne que le style néoclassique des murs extérieurs contribue à donner au public un sentiment d’ordre et de monumentalité, invisibilisant les conditions intérieures.

Panoptique ou radial, ces architectures dominantes sont élaborées autour de principes communs : l’isolation totale des individus et une surveillance constante. Complétées par les évolutions technologiques de la seconde moitié du XXe siècle (vidéo-surveillance par exemple), elles ont aussi accru la distance entre détenus et gardiens. Ces transformations ont également conduit à une invisibilisation progressive des prisons, désormais retirées des centres urbains.

Les constructions en Suisse s’alignent sur les principes globaux démontrés précédemment. Dans le dernier tiers du XXe siècle, des prisons sont rénovées ou agrandies : construction d’une nouvelle section masculine à Saxenrriet (1964, Saint-Gall), ou de bâtiments annexes à l’établissement pénitencier pour femmes de Hindelbank (1959, Berne), dans lesquels s’imposent alors les cellules individuelles. D’autres prisons sont construites, symboles de modernité, comme celle de Champ-Dollon à Genève (1977), où des expériences de déprivation sensorielle sur le modèle américain sont aussi menées.

C’est dans ce contexte qu’ALIX HEINIGER (Fribourg), dans le cadre du projet de recherche « Espace carcéral et circulations : une histoire transnationale et régionale des prisons suisses (1820-1980) »2, s’est intéressée aux résistances des détenus face aux conditions carcérales au quotidien. Les sources proviennent d’abord de l’intérieur de la prison : des pétitions, des lettres, des refus de regagner les cellules. Ces traces internes parviendront à l’extérieur, portées par des collectifs anticarcéraux, et mènent à une première visibilité publique en 1972, puis une seconde en 1990. L’auteure analyse ces deux mouvements de contestation en mobilisant la théorie de l’économie morale de la foule de l’historien Thompson, afin de comprendre les processus de visibilisation de la contestation. La théorie de l’analyse des problèmes publics de Neveu est ensuite utilisée pour montrer comment cette visibilisation se transforme en enjeu public.

Durant les années septante, la voix de prisonniers trouve de l’écho en dehors des prisons, mais pas uniquement en Suisse : la mutinerie de la prison d’Attica à New York (1971) est un premier exemple. Mais des événements ont lieu en Italie aussi, et en France : là, Michel Foucault dénonce des conditions d’enfermement intolérables, utilisant le panoptique benthamien comme modèle pour analyser les mécanismes de la société de surveillance. La protestation des détenus a pour objectif de déclarer aux autorités que leur comportement est inacceptable : les détenus de la Plaine de l’Orbe rappellent aux autorités « […] l’art. 37 du Code pénal (CPS) entré en vigueur en 1971, qui prévoit que la peine doit exercer une action éducative et préparer le retour à la vie libre ».3 Ils insistent sur le renforcement des rapports sociaux et la lutte contre l’isolement, qui, selon eux, entrave la réhabilitation.

Ces revendications intérieures aux prisons trouvent un écho public lorsque ce dernier découvre l’augmentation significative des statistiques des décès en prison, dont ceux dus aux suicides : l’Aktion Strafvollzug (ASTRA, créé en 1973) recense quelques 48 morts en 33 mois. Le rapport de l’Office fédéral de la justice, sur une interpellation du député socialiste Werner Carobbio en 1978, fera état de chiffres encore plus élevés. Enfin, après la mutinerie de Champ-Dollon de la Pentecôte 1979, le gouvernement genevois crée une Commission des sages afin de rendre compte des effets de l’isolement qui conduit à des réformes substantielles.

Alors que l’échafaud disparaît de la place publique, près de deux siècles s’écoulent durant lesquels la peine de prison est rendue invisible, au sein de dispositifs architecturaux qui promeuvent l’isolement et la surveillance constante. Les prisons elles-mêmes sont enfin retirées des villes et leur accès rendu difficile. Après la contestation sociale de la fin des années soixante, les principes mêmes des conditions de détention sont remis en cause d’abord à l’intérieur, avant de trouver un écho à l’extérieur des prisons. Les deux auteurs soulignent l’ampleur des recherches encore à mener sur le sujet, Heiniger mentionnant notamment les nombreuses archives d’actions et de mobilisations peu analysées. En conclusion, le public a encore soulevé la question de la représentation culturelle des prisons et de l’esthétisation de la violence carcérale dans des séries télévisées à succès telles qu’Inside the World’s Toughest Prisons, paradoxe d’une réalité rendue d’autant plus invisible qu’elle est spectaculairement mise en scène.


Aperçu du panel :

  • Stephan Scheuzger, Gefängnisbau und (Un)Sichtbarkeit im 19. und 20. Jahrhundert
  • Alix Heiniger, Visibiliser et dénoncer le quotidien carcéral : la contestation des prisons dans les années 1970-1990

Ce compte rendu fait partie de la documentation infoclio.ch des 7es Journées suisses d’histoire.

Event
Siebte Schweizerische Geschichtstage
Organised by
Schweizerische Gesellschaft für Geschichte
Event date
-
Place
Luzern
Language
German
Report type
Conference