Dans les camps. Archéologie de l’enfermement

Ce billet de blog a été rédigé par Géraldine Delley (Directrice adjointe du Laténium) et Virginie Galbarini (Responsable communication du Laténium). Il fait partie d’une série consacrée à la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale en Suisse, produite à l’occasion du colloque infoclio.ch 2024 «Deuxième Guerre mondiale. Une mémoire en mutation». La série présente divers projets récents, signale des ressources accessibles en ligne et propose des réflexions historiques sur le sujet.



Si certains camps de la Seconde Guerre mondiale sont devenus emblématiques de la terreur nazie, quantité d’autres lieux d’enfermement se sont peu à peu effacés de notre mémoire collective. Depuis plus de trente ans, les archéologues documentent les empreintes discrètes que ces aménagements précaires ont laissées dans le paysage. Les objets présentés au Laténium au sein de l'exposition Dans les camps. Archéologie de l'enfermement proposent une perspective poignante sur le quotidien des camps et éclairent d’une autre manière cette période sombre de notre histoire.

Affiche

Présentant 650 objets mis au jour lors de fouilles archéologiques de différents camps en France, en Pologne et en Allemagne (camps de concentration, camps de travail forcé, camps de prisonniers de guerre), l’exposition nous confronte de façon tangible aux efforts déployés par des millions d’individus pour s’adapter et résister à l’enfermement collectif, la pénurie, la déshumanisation, la brutalité, l’angoisse, l’ennui et l’arbitraire. Alors que la dernière génération des survivant-es de la Seconde Guerre mondiale s’éteint et que le vide laissé par le démantèlement de ces lieux de vie et de mort est progressivement rempli par de nouvelles constructions, vivre dans des camps marque encore l’existence d’innombrables êtres humains à travers le monde. C’est cette vie au quotidien, dévoilée par des objets infimes, que l’exposition veut faire découvrir.

Une scénographie qui évoque l’enfermement

Affiche

Dans son travail scénographique, Adrien Moretti a conçu un espace évoquant l’organisation rigoureuse du camp dont la particularité est d’être éphémère. En guise de plafond, une grande structure en forme de croix, symbole d’exclusion, suscite un sentiment d'oppression et rappelle les conditions de vie des interné-es. Le public déambule sur ce qui ressemble à un sentier de terre battue, à travers quatre espaces thématiques séparés par des parois semi-transparentes qui créent des jeux d’ombre et évoquent l’absence d’intimité et la promiscuité vécues dans les camps.

Affiche

L’exposition traite de quatre thèmes. « Ce qui fait camp » présente des objets qui se rapportent aux infrastructures, à la hiérarchie et à la soumission par le travail. « Créer pour exister » parle de l’économie de la résistance en exposant des objets fabriqués par les détenu·es. « L’extérieur vu de l’intérieur » raconte comment le dehors apparait aux personnes enfermées. « S’attacher aux traces matérielles pour conjurer l’oubli » met l’accent sur la portée mémorielle des objets liés à l’expérience des camps, et sur les traces que ces derniers ont laissées dans le paysage.


Un court métrage et des interviews à voir en ligne

AfficheUn court-métrage réalisé par Ania Szczepanska envisage les camps comme des résurgences de passé dans notre présent. En questionnant le devenir de ces lieux entre patrimonialisation et disparition, elle montre qu’ils constituent surtout du vide que notre mémoire cherche à combler. Enfin, une série d’interviews, accessibles en ligne, réalisées par le vidéaste Philippe Calame aborde l’archéologie des camps sous différents angles. Comment les fouille-t-on ? Devons-nous les restaurer ? Qu’est-ce que l’archéologie apporte de nouveau à la connaissance ? Pourquoi les objets que l’on y découvre nous touchent autant ?


Des ateliers philosophiques pour créer un audioguide

Affiche En collaboration avec quatre classes d’enfants âgé·es de 8 à 11 ans, le Laténium a conçu un audioguide et un podcast pour explorer les thèmes de l’exposition. Dans le cadre d’ateliers philosophiques, les enfants ont réfléchi à des notions comme la privation de liberté, l’injustice, la créativité pour rester soi-même, ou encore la mémoire. En s’étonnant du quotidien des prisonnier·ères des camps et de ce que l’archéologie permet de faire connaître, les participant·es ont donné des réponses collectives à des questions essentielles. Alors que la vie dans des camps constitue aujourd’hui encore une réalité, les réflexions menées dans les ateliers philosophiques permettent aussi de donner du sens au monde qui nous entoure.

Des camps à l’archéologie du passé récent

AfficheL’archéologie des camps a été initiée par des amateurs, qui sont longtemps demeurés seuls à la pratiquer. Après une initiative ponctuelle à Auschwitz-Birkenau, c’est en Allemagne qu’ont été menées les premières fouilles systématiques professionnelles dans des camps de la Seconde Guerre mondiale. Peu après la réunification allemande, au début des années 1990, des réaménagements patrimoniaux entrepris dans les camps de Ravensbrück, Sachsenhausen et Buchenwald ont constitué un élément déclencheur du développement institutionnel de cette archéologie. Ailleurs en Europe, l’étude des traces matérielles liées aux conflits du 20e siècle — tranchées de la Première Guerre mondiale, charniers de la Guerre d’Espagne, camps de prisonniers de la Seconde Guerre mondiale — a suivi le même développement, une décennie plus tard. Ces travaux ont assuré les bases théoriques de l’archéologie contemporaine. Si les fouilles sont souvent d’ampleur limitée, elles permettent de faire connaitre à un large public une histoire par les objets d’un passé récent. En outre, elles thématisent des aspects rarement documentés par les archives, dont la mémoire locale n’a gardé que peu de souvenirs. Par une lecture des vestiges au ras du sol et un examen minutieux des masses d’objets recueillis lors de fouilles, l’archéologie nous permet d’accéder à la vie quotidienne des détenu·es, souvent occultée dans les sources historiques et les témoignages oraux.

Pour accompagner l'exposition, des projections, des conférences, des performances et des ateliers cherchent à repousser les frontières de l’archéologie pour la faire dialoguer avec d’autres disciplines.

Informations pratiques

Jusqu’au 12.01.2025 - Prolongation jusqu'au 27 avril 2025

Le Laténium est ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h.

Espace Paul-Vouga
2068 Hauterive
+41 (0)32 889 69 17
latenium.ch