Edouard Odier est le premier et le dernier Ministre de Suisse à Saint Pétersbourg. Nommé en 1906, il demeure en fonction jusqu’en 1917. Pris en otage par les bolcheviks avec le reste du personnel diplomatique suisse, il quitte son pays d’accueil en février 1919 seulement. En treize ans sur place, il assiste aux plus importants bouleversements de l’histoire contemporaine de Russie : l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale ; la révolution de Février qui voit la dynastie des Romanov être renversée ; le « coup d’État » d’Octobre organisé par le « bandit » Lénine ainsi que la sanglante guerre civile qui en découle. Il va sans dire que le mandat diplomatique d’Odier fut pour le moins mouvementé.
Ce mémoire a pour objectif d’étudier les multiples dimensions de la mission d’Odier dans le pays du tsar, puis des Soviets. En effet, le ministre a pour tâche de : organiser la légation ; développer les relations commerciales Suisse-Russie ; défendre les intérêts et assurer la sécurité de la colonie suisse ; enfin, rédiger des rapports détaillés sur la politique russe. Ce dernier point occupe une place prépondérante dans ce travail puisque les sources utilisées contiennent majoritairement des considérations d’ordre politique.
Chaque mandat fait l’objet d’une analyse qui lui est consacrée dans un chapitre ou sous-chapitre. Notre but est donc d’étudier la manière avec laquelle Odier concilie toutes ces missions et comment est-ce qu’il surmonte les différentes difficultés auxquelles il est confronté – et qui ne manquent pas en Russie.
Ainsi, étudier le mandat d’Édouard Odier en Russie revient obligatoirement à rédiger une histoire plurielle. Celle d’un homme d’abord, un politicien expérimenté, membre actif du CICR, un passionné des affaires étrangères qui plus est, mais qui s’avère être totalement impréparé aux contraintes de la diplomatie. Son manque d’expérience et son non-respect des normes diplomatiques lui causent de nombreux problèmes avec le Département politique à Berne et les autorités russes à Saint-Pétersbourg.
C’est l’histoire des représentations d’un libéral sur l’Empire russe, qui voit se succédé trois régimes antagonistes (le tsarisme, le gouvernement provisoire, puis bolchevik). Tout en se moquant du devoir de réserve qui incombe à sa fonction, Odier nous permet de plonger au coeur des dysfonctionnements politico-institutionnels de ces trois gouvernements grâce à ses nombreuses rencontres, nous proposant par la même occasion des analyses d’une étonnante lucidité. À côté de cette histoire très politique, les explications culturalistes sur « l’ours russe » ne sont jamais bien loin.
C’est aussi l’histoire d’une institution, la légation suisse de St-Pétersbourg, et de ses relations avec le Département politique fédéral (DPF). La diplomatie suisse est particulièrement décriée au début du XXe siècle. Considérée comme inutile et coûteuse, elle souffre par conséquent d’un déficit chronique de moyens, ce qui impacte grandement le travail d’Odier et son équipe. Cette situation est rendue d’autant plus difficile en raison du fonctionnement du DPF, en particulier l’absence de leadership.
Dans une moindre mesure, ce travail vise très modestement à compléter l’historiographie suisse sur l’importante diaspora helvétique présente en Russie, en étudiant les relations des colons avec la légation de Saint-Pétersbourg (les attentes à son égard et les déceptions), mais aussi les conséquences dramatiques de la déflagration mondiale et de la révolution d’Octobre qui mettent fin à une présence suisse longue de plusieurs siècles en Russie.