Panel: L'enfant migrant – porteur de droits naturels ?

Autor / Autorin des Berichts
Elisa
Conti
Université de Fribourg
Zitierweise: Conti, Elisa: Panel: L'enfant migrant – porteur de droits naturels ?, infoclio.ch Tagungsberichte, 26.07.2022. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0268>, Stand: 29.03.2024

Organisatrices : Sarah Kiani, Magali Michelet, Carole Villiger
Intervenantes et intervenants : Paolo Barcella, Aurore Müller, Magali Michelet
Commentaire : Sarah Kiani

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Le boom économique de l’après-guerre en Suisse se caractérise par d’importants mouvements migratoires liés au besoin de main-d’œuvre étrangère et par la présence de travailleurs saisonniers et travailleuses saisonnières en provenance, majoritairement, des pays du Sud de l’Europe. Cette population migrante est constituée aussi par des familles et des enfants. Le panel propose une analyse de la condition de l’enfant migrant et de la naturalisation de ses droits et besoins dans le contexte suisse pendant la seconde moitié du 20e siècle, alors que se mettent en place les droits de l’enfant au niveau international. En introduction au panel, CAROLE VILLIGER (Lausanne) présente les intervenantes et intervenants et leur cède la parole.

Dans sa communication par vidéoconférence, PAOLO BARCELLA (Bergamo) aborde la thématique de l’éducation et de la formation scolaire et professionnelle des enfants migrants d’origine italienne en Suisse pendant la période de l’après-guerre. Il montre comment leur insertion dans les écoles et les cours professionnels dépendait à la fois des politiques migratoires de l’Etat et de la mobilisation des associations italiennes en Suisse. Les politiques migratoires suisses reposaient sur le principe de la rotation de la main-d’œuvre constituée par les travailleurs saisonniers et travailleuses saisonnières auxquels était octroyé un statut de séjour temporaire. Cette interprétation politique de la migration prévoyait idéalement l’absence des familles migrantes et, en conséquence, des enfants, dont la présence était appréhendée en termes de coûts sociaux pesant sur la collectivité. L’impossibilité du regroupement familial par la voie légale à court terme a conduit à des pratiques de vie familiale très complexes et à une multitude de situations d’irrégularité, de clandestinité et de précarité. Cependant, le monde de la migration italienne n’a pas subi cette situation de manière passive. Au contraire, le réseau des associations italiennes en Suisse a mobilisé une capacité d’action politique forte, non seulement au sein de la communauté, mais dans une relation de dialogue avec les autorités helvétiques et les associations nationales du pays d’origine. Véritables miroirs du panorama politique italien de l’époque, les associations italiennes en Suisse ont développé des solutions concrètes à la problématique de la scolarisation des enfants migrants, allant de la création d’écoles italiennes en Suisse, à la mobilisation collective pour l’insertion dans les écoles suisses ou à des formes hybrides de formation.

Ensuite, AURORE MÜLLER (Fribourg) présente une étude de cas tirée de son projet doctoral en cours. Dans le cadre du panel, elle se penche sur l’histoire des placements extra-familiaux de jeunes filles italiennes dans le canton de Neuchâtel entre 1960 et 1970. Prises en charge par l’Office cantonal des mineurs (OCM), ces jeunes ne représentaient pas le public cible « classique » de l’OCM car elles ne se trouvaient pas dans une situation d’abandon ; au contraire, les dossiers de prise en charge analysés par l’historienne reflètent une forte présence des parents dans la vie de leurs enfants. Les placements résultaient d’une demande de la part des jeunes filles et n’étaient pas ordonnés par les autorités. Müller s’interroge alors sur les raisons qui ont amené ces jeunes filles à s’adresser à l’OCM et sur les modalités de leur prise en charge par l’institution. L’hypothèse explicative de l’historienne place les conflits familiaux et culturels à l’origine de la demande du placement : face à des règles de vie perçues comme restrictives, les jeunes filles, évoluant dans un contexte suisse peut-être plus permissif que celui du pays d’origine des parents, considéraient le placement comme un outil d’émancipation permettant d’acquérir davantage de liberté individuelle. Le cadre institutionnel du placement devenait alors le lieu où se négociaient des solutions de sortie du conflit entre parents et enfants. L’endroit, aussi, où se confrontaient des visions de l’éducation différentes, les assistantes sociales de l’OCM se positionnant en faveur d’une éducation progressiste. Au-delà des questions très concrètes liées aux placements, Müller se demande ce que ces situations individuelles et familiales révèlent de l’histoire des placements plus en général. En effet, cette étude de cas permet d’apporter une lecture plus nuancée du placement de mineurs comme processus contraignant et coercitif.

Dans le prolongement de sa thèse de doctorat en cours sur les parcours de vie des enfants cachés de saisonniers en Suisse entre 1960 et 1990, MAGALI MICHELET (Neuchâtel) propose une réflexion sur les raisons du silence autour de ce phénomène. Comment expliquer que le parcours de ces « enfants du placard » ait fait aussi peu de bruit jusqu’à aujourd’hui ? Conséquence de l’introduction du statut de saisonnier (1931) qui interdisait le regroupement familial, ce phénomène a touché toutes les populations de travailleurs et travailleuses en Suisse pendant la deuxième moitié du 20e siècle. Arrivés ou nés en Suisse sans statut légal, ces enfants et leurs familles ont connu des situations de séparation et clandestinité souvent prolongées et traumatisantes. Michelet montre comment l’accord de 1964 conclu entre la Suisse et l’Italie relatif à l’émigration des travailleurs italien en Suisse a signifié une difficulté accrue pour le regroupement familial. Elle illustre son propos à l’aide du parcours d’une famille italienne saisonnière à Neuchâtel, qu’elle a reconstitué avec la méthode de l’histoire orale. Elle constate, sources orales à l’appui, la présence de silences qui compliquent la reconstruction de l’histoire des enfants du placard et s’interroge sur leur origine. Comme élément d’explication, elle propose le concept de « silences stratégiques », pratiqués à la fois par les autorités helvétiques et par les familles elles-mêmes pour faire face à la situation de nature temporaire imposée et vécue. Pour conclure, Michelet rappelle, d’une part, l’écart flagrant observé entre le contenu des lois régissant l’établissement des saisonniers et saisonnières et les pratiques de vie reconstruites grâce aux sources d’histoire orale, et la prépondérance des intérêts économiques et politiques face au bien-être des enfants, d’autre part.

Lors de son commentaire conclusif, SARAH KIANI (Neuchâtel) rappelle que, au-delà de la grande diversité des trajectoires et stratégies individuelles et familiales des acteurs et actrices historiques, le fil rouge qui lie les trois sujets abordés par les panelistes est celui de la migration. Les trois présentations offrent alors trois différents points de vue sur ce phénomène. Une double question se dégage et reste ouverte à discussion ultérieure : dans le contexte suisse de la seconde moitié du 20e siècle, quels liens existaient-ils entre les différents réseaux de la communauté italienne et les autres communautés de migrants et immigrés en Suisse ? Et quelles relations entretenait la communauté italienne en Suisse avec l’Italie ?



Aperçu du panel:
Paolo Barcella : Écoles et formations professionnelles pour les enfants migrants dans la Suisse de l’après-guerre : le débat dans les milieux associatifs italiens

Aurore Müller : « Mes parents ne me laissent aucune liberté » : l’Office cantonal des mineurs comme outil d’émancipation pour les jeunes filles étrangères ? (Neuchâtel, 1960-1970)

Magali Michelet : Les parcours de vie des enfants cachés de saisonniers en Suisse, 1960-1990 (titre initial selon programme) /Pour le bien-être des enfants : regroupements familiaux interdits. Silences stratégiques à l’exemple des « années 1964 » en Suisse (titre final présenté lors du panel)

Veranstaltung
6e Journées suisses d'histoire
Organisiert von
Société suisse d'histoire et Université de Genève
Veranstaltungsdatum
Ort

Genève

Sprache
Französisch
Art des Berichts
Conference