Art der Arbeit
Dissertation
Stand
abgeschlossen/terminé
DozentIn Name
Prof.
Christoph
Conrad
Kodirektion
Prof. Bessiere Bernard
Institution
Histoire contemporaine
Ort
Genève
Jahr
2009/2010
Abstract
Cette thèse se situe au croisement de l’histoire politique et de l’histoire mémorielle - essentiellement centrée sur les représentations et les usages du passé. Le problème qui préside à l’étude est le suivant : comment les Espagnols, par délégation de leurs élites politiques, médiatiques et culturelles, ont-ils composé durant la Transition démocratique avec les aspects les plus sombres et traumatiques de leur proche passé, c’est-à-dire avant tout la Guerre civile et le premier franquisme ?
Il nous a semblé pour ainsi dire impossible de comprendre la Transition sans prendre en compte les ressources légales et institutionnelles de la dictature, les projets de réforme du régime ébauchés par les différentes « familles » du système, de même que l’évolution des rapports de force entre franquisme et oppositions. C’est l’objet de la première partie de la thèse, qui interprète la dictature du général Franco comme un régime qui, tout en procédant à une ouverture économique notable à partir de la fin des années 1950, s’est ingénié pendant près de quarante ans à repousser l’échéance d’une libéralisation politique. Toutefois, après la mort du Caudillo et l’avènement de Juan Carlos à la tête de l’Etat, c’est bien sous la houlette d’un ancien franquiste reconverti à la démocratie, le Premier ministre Adolfo Suárez, que l’opération transitionnelle est menée, dans le cadre juridique légué par la dictature.
Les deuxième et troisième parties de la thèse auscultent la Transition proprement dite (1976-1982), sous l’angle privilégié de ce que nous avons appelé des « moments de mémoire ». Il s’agit d’aborder certains temps forts du processus qui, par un phénomène de résonance historique, de convocation des spectres et des démons du passé, incitent les acteurs et les observateurs à se positionner dans leurs discours à l’égard de ces derniers. Parmi les épisodes sélectionnés, citons en priorité : le débat sur la loi pour la réforme politique, la légalisation du Parti communiste, les Pactes de la Moncloa, la discussion liée à la loi d’amnistie, le débat autour de la Constitution ou encore le coup d’Etat manqué du 23 février 1981. Afin d’analyser ces représentations du passé qui quadrillent l’espace public et définissent un régime mémoriel, nous avons eu recours à des sources de natures variées : presse quotidienne et hebdomadaire ; discours, programmes, conférences et entretiens politiques ; législation fondamentale, débats parlementaires ; Mémoires, témoignages et visions personnelles des protagonistes. L’hypothèse centrale du travail, qui s’est forgée à la lecture de ces événements spécifiques, consiste à dire que, pendant la Transition, les principaux acteurs de la scène publique recourent à une forme de ruse mémorielle dans leur rapport aux passés traumatiques afin de favoriser une stratégie politique adaptée à leur perception du changement. La quatrième et dernière partie de la recherche, plus brève, vient pondérer les développements antérieurs. Elle révèle qu’à côté des nombreux usages publics du passé abondamment illustrés – ce que d’aucuns considèrent comme la construction d’une « fausse identité » - existe également le « poids du passé », dont l’inertie a vocation à résister à la manipulation. Le recours à des sources littéraires, soit deux romans « transitionnels » de l’écrivain catalan Juan Marsé – La muchacha de las bragas de oro (1977) et Un día volveré (1982) – ouvre un débat fécond sur le caractère artificiel de la représentation publique du passé et sur les ressources subversives des mémoires individuelles, à même d’échapper en partie au carcan du « prêt-à-porter » de la rétrospection collective.
Nous considérons que durant la Transition, époque de charnière historique, les enjeux liés à l’appréhension des passés traumatiques sont majeurs : ils investissent largement les discours à prétention politique et posent ainsi un cadre au processus de changement, Cependant, nous soutenons que cette présence s’opère de façon globalement détournée, par l’intermédiaire d’un arsenal de ruses, plus ou moins dominantes, dont l’articulation définit un certain équilibre mémoriel. La notion de ruse mémorielle correspond au caractère d’ambiguïté qu’implique la Transition : il s’agit en effet de passer d’un régime à l’autre à pas feutrés, sans renier le passé sur l’autel de l’avenir. Cela suppose qu’il n’existe à cette époque aucun accord mémoriel explicite entre les acteurs, mais précisément des feintes qui permettent d’évacuer provisoirement un immense contentieux attaché au passé. L’essentiel n’est donc pas de s’entendre sur le sens du proche passé, dont chacun conserve jalousement sa conception, mais de faire comme si ce dernier n’avait plus à créer de motifs de querelles au présent. Cette simulation fonctionne plutôt bien en ce qui concerne la Guerre civile, dont la litanie du « tous coupables » et du « plus jamais ça » permet d’apaiser les rancoeurs et de prévenir les tentations de violence. L’effort est nettement moins aisé à propos de la dictature, qui consacra de fait des abuseurs et des abusés. Mais il est consenti sur la scène publique par les représentants du camp jadis opprimé, dont le souci premier est de s’intégrer et de contribuer ainsi à stabiliser la démocratie naissante. L’une des clefs de la Transition repose donc sur ce regard partiellement biaisé – déterminé par un rapport de forces demeuré à l’avantage des réformistes issus du franquisme – que les Espagnols ont accepté ou se sont employés à poser sur leur proche passé afin de s’en extraire. Il n’est dès lors guère étonnant que les principaux contentieux mémoriels qui secouent aujourd’hui l’Espagne depuis une dizaine d’années se cristallisent autour de ce que la Transition démocratique, puis la démocratie consolidée ont fait avec leurs passés traumatiques.
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