Une manifestation féministe à Fribourg pendant les années 1970 ? L’idée semble presque saugrenue pour celles et ceux qui imaginent une cité des Zaehringen prise entre sa rapide urbanisation et le poids des soutanes. Pourtant, dès 1974 et pour une dizaine d’année, Fribourg connaît les mobilisations d’un nouveau mouvement féministe, qui ressemble beaucoup à ceux que l’on trouve déjà à New York, Paris et Genève. Si les sections des Mouvements de libération des femmes (MLF) des grands centres urbains helvétiques sont étudiés depuis une quinzaine d’année, le cas de Fribourg, petite cité catholique et universitaire, n’a jamais fait l’objet d’une véritable recherche. Ce travail vise à combler cette lacune, à compléter les connaissances historiques sur les mobilisations féministes suisses et fribourgeoises et à comprendre ce qui fait les particularités du mouvement au niveau local.
Le mémoire postule que l’espace public fribourgeois est immobilisé par une alliance stratégique entre l’Église catholique, l’État et la société civile, formant une chape du silence pesant sur les questions liées à la sexualité au sens large. Dès les années 1970, plusieurs lézardes – des contestations – se forment dans cette chape. Le mouvement féministe autonome pénètre alors petit à petit dans l’espace public fribourgeois, donnant au célèbre slogan « le privé est politique » une existence discursive et pratique, inédite à Fribourg. Ce sont les fissures progressives dans cette solide chape du silence (ainsi que les résistances de celle-ci) que le travail se donne pour objectif d’analyser. Il vise donc à répondre à la question suivante : pourquoi un mouvement féministe autonome émerge-t-il à Fribourg dans les années 1970 et comment occupe- t-il l’espace public, alors que les femmes y sont parmi les actrices les plus marginalisées ?
Le travail établit et présente une dizaine d’années d’activité féministe en terre fribourgeoise. Face au poids des structures qui les oppressent, les groupes féministes de type MLF et Groupe femmes permettent à des femmes de sortir de leur isolement et de se comprendre comme les actrices d’une dissidence qui ne devient possible que collectivement. Le contexte fribourgeois rend les mobilisations particulièrement difficiles : l’État n’hésite pas à ériger des obstacles juridiques devant les féministes. Il le fait dans le cadre de la projection d’Histoires d’A, durant l’affaire Kaufmann, et autour de la manifestation du 4 mars 1978. Les féministes s’opposent à cette opposition, ressortent vainqueuses de ces trois bras de fer juridiques, et contribuent ainsi à un élargissement de la démocratie locale et nationale. La présence des féministes radicales pendant des années 1970 fait également l’effet d’un aiguillon puissant qui oblige les autres acteur·rices du monde social et politique fribourgeois à se mettre d’accord et à sortir de certains blocages.