L’éphémère République de l’Ossola (septembre-octobre 1944) mérite mieux qu’une éventuelle note de bas de page dans les manuels d’histoire suisse. Proclamée le 10 septembre 1944, la République d’Ossola est l'une des plus importantes républiques partisanes qui virent le jour au cours de l'année 1944 dans le nord de l'Italie. Installée par les partisans italiens sur un territoire de 1700 km2 dans la vallée de l’Ossola sur le versant italien du col du Simplon, elle se dota d’un gouvernement provisoire et d'institutions pour organiser sa défense et administrer le territoire de manière démocratique. Pour les partisans, l'enjeu était aussi de démontrer la capacité de la résistance italienne à exercer la démocratie après 20 ans de régime fasciste. Dans sa courte existence, elle n’a pu compter que sur la générosité d’une population suisse sensible aux besoins humanitaires de son voisin. Comment l'oublier ?
Au bout de 40 jours, les Allemands reprirent le contrôle du territoire provoquant l’exil de milliers d’Italiens qui reçurent l’autorisation d’entrer en Suisse. Près de 1300 enfants furent évacués en Suisse pendant l’hiver 1944 grâce à l’action de la Croix- Rouge suisse. Quatre-vingts années se sont désormais écoulées. La gratitude de l’Ossola envers la Suisse demeure profonde. Mais en Suisse, quelle mémoire perdure de cet événement singulier au cours duquel le pays s’est retrouvé en première ligne ?
Passionné par l’histoire récente de l’Italie, je passe beaucoup de temps dans la région du lac Majeur. À la Casa della Resistenza de Verbania, j’ai visité une exposition dédiée à cette éphémère république dont j’ignorais l’existence. De retour à Sion, je constatais ne pas être le seul à méconnaître plusieurs faits remarquables survenus juste au-delà de la frontière, comme la tentative du minage du Simplon par les Allemands en avril 1945.1
Pour faire revivre le souvenir de la République partisane d’Ossola, j’ai donc choisi, n’étant pas historien, de raconter l’épopée de l’Ossola sous la forme d’une reconstitution historique susceptible d’intéresser un public plus large. À ma connaissance, c’est un des rares livres en français à traiter spécifiquement de ce fait historique. Pourra-t-il susciter la curiosité de jeunes historiens ? Je l’espère. Il faudrait approfondir les recherches sur le rôle joué à cette occasion par la Suisse officielle au niveau fédéral et cantonal, en Valais et au Tessin. Par ailleurs, il manque encore à ma connaissance un travail académique sur les infatigables efforts du Conseiller national valaisan Karl Dellberg et du Conseiller d’État tessinois Gugliermo Canevascini pour autoriser l’entrée en Suisse des partisans et de la population de l’Ossola après la chute de la République en octobre 1944. Que se serait-il passé sans eux ? Combien de vies ont-ils sauvé par leurs incessantes interventions auprès des autorités compétentes ? Ces questions mériteraient une recherche historique plus approfondie. La mémoire concernant les faits en Ossola a pratiquement disparu en Suisse romande. Les media ne semblent pas intéressés. Normal me direz-vous ; chaque région linguistique de Suisse s’intéresse avant tout au pays voisin qui partage sa langue. Pourtant, à lire la presse francophone de l’époque, il est frappant de constater la sympathie suscitée par cette jeune république. La Tribune de Genève et la Gazette de Lausanne avaient même dépêché un correspondant à Domodossola qui envoyait régulièrement des articles flatteurs sur les efforts de la junte provisoire visant à démocratiser la vie publique.2
Dans le Haut-Valais, la situation est différente. Le souvenir de ces semaines folles demeure plus vivace. Le Walliser Bote dans son édition du 10 septembre 2024 a consacré une double page aux faits survenus à la frontière valaisanne en octobre 1944. Au moment de la rédaction du présent blog, je n’ai encore rien lu sur la presse tessinoise. En revanche, en Italie le 80ème anniversaire donne lieu à une série d’événements commémoratifs au niveau local, coordonnés par la Casa della Resistenza. Le 25 octobre 2024, j’aurai le privilège de participer à l’un d’eux à l’occasion de la réédition du livre de Paolo Bologna3 qui recueille les témoignages d’enfants de l’Ossola évacués en Suisse pendant l’hiver 1944. C’est certainement un épisode sur lequel mon livre peut apporter un éclairage original à la suite des documents trouvés aux archives du Valais et de la Croix-Rouge suisse, publiés en annexe du livre.
Pour finir, j’aimerais mentionner que mon précédent livre, Témoin d’une déchéance, traite aussi de la mémoire sur la Deuxième Guerre mondiale. J’ai intégré les souvenirs racontés par ma mère, qui a vécu en Italie de 1935 à 1950, dans un échange épistolaire fictif avec sa cousine restée en Suisse. Cet artifice m’a permis de rendre ses souvenirs plus vivants sans trahir ses propos pour les inclure ensuite dans leur contexte historique. Cet exercice m’a amené à relever quelques coïncidences. Par exemple, j’ai consulté les archives de presse sur le doctorat honoris causa décerné le 13 janvier 1937 à Benito Mussolini par l’Université de Lausanne. À l’exception de quelques lignes, il n’y a rien dans la presse italienne. En revanche, il est ironique de constater que le jour où le Journal de Genève rapporte le voyage à Rome d’une délégation universitaire chargée de remettre le diplôme au Duce, il publie également un article de son correspondant à Rome sur le livre d’un certain M. Orano, les Juifs en Italie.4 Ce dernier prétend qu’on ne peut pas être à la fois un bon Italien et un bon sioniste. Selon le journal, face aux inquiétudes soulevées par l’article, le gouvernement affirme n’appuyer d’aucune façon les thèses avancées par l’auteur. Par une coïncidence dont l’Histoire est si friande, le « Duce » venait donc d’entamer la campagne qui allait aboutir à la proclamation des lois antijuives en 1938 à l’époque même où il reçut son doctorat « pour avoir conçu et réalisé dans sa patrie une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique et qui laissera dans l’histoire une trace profonde ».5
Les livres Quarante jours de liberté et Témoin d’une déchéance sont publiés aux Éditions Mon Village.
Notes:
1 Voir Rues Raphael, Epreuve de force au Simplon, Blog du Musée national suisse, 2020. En ligne: <https://blog.nationalmuseum.ch/fr/2020/04/la-wehrmacht-veut-faire-exploser-le-tunnel-du-simplon/>, consulté le 10.10.2024.
2 Pierre-Emmanuel Briquet, « Dans l'Ossola librérée. Un curieux statut international », Gazette de Lausanne, 14 octobre 1944. En ligne: <https://www.letempsarchives.ch/page/GDL_1944_10_14/1/article/2439148/briquet%20ossola>, consulté le 10.10.2024; Pierre-Emmanuel Briquet, « Les partisans du val d'Ossola mènent une lutte inégale contre les forces germano-fascistes », Feuille d'avis de Neuchâtel, 14 octobre 1944. En ligne: <https://doc.rero.ch/record/56969/files/1944-10-14.pdf>, consulté le 10.10.2024.
3 Bologna Paolo, Il paese del pane bianco, Domodossola, Grossi, 2023.
4 « L'antisémitisme en Italie », Journal de Genève, 13 avril 1937. En ligne: <https://letempsarchives.ch/page/JDG_1937_04_13/2>, consulté le 10.10.2024.
5 Texte du document original. Voir Glaser David, «Benito Mussolini diplômé de l'Université de Lausanne», notrehistoire.ch, 1921. En ligne: <https://notrehistoire.ch/entries/y9YlgoeyWj6>, consulté le 10.10.2024.