#Fridaysforfuture

En ce 15 mars 2019, des jeunes font grève pour le climat un peu partout sur la planète, donnant corps à ce qui pourrait être l'une des plus grandes mobilisations jamais vues pour la sauvegarde de l'environnement. Greta Thunberg, initiatrice du mouvement #fridaysforfuture, appelle les adultes à profiter du momentum pour agir. La question est difficile à esquiver: que faisons-nous au juste pour nous hisser à la hauteur des enjeux liés au réchauffement climatique ? Dans un sens, nous suivons déjà le conseil de Greta Thunberg qui, au forum de Davos 2019, déclarait à un journaliste: "I don't want you to be hopefull, I want you to panic". Nous paniquons même depuis 40 ans. En 1979, Jean-François Lyotard faisait déjà le constat de la fin des grands récits émancipatoires hérités des Lumières, et nous laissait comme seul horizon d'attente historique l'amélioration de la performativité des systèmes productifs, gouvernés de façon de plus en plus autonome par la technique. À ce constat lucide et passablement désespéré, qui continue d'occuper aujourd'hui le devant de la scène avec les débats sur l'intelligence artificielle, s'est ajoutée la conscience généralisée d'une crise écologique planétaire sans précédent, qui menace à distance d'une ou deux générations de bouleverser tous les écosystèmes dans une mesure jamais enregistrée de mémoire d'homo sapiens. Donc, oui, nous paniquons. Toute philosophie de l'histoire comporte une part de téléologie. Afin de choisir un sujet et d'en dire quelque chose, l'historienne ou l'historien doit nécessairement s'imaginer un cadre interprétatif au sein duquel il s'efforcera de restituer le résultat de son travail sur les sources. C'est cette ligne de fuite, depuis laquelle porter un regard rétrospectif sur le passé, qui est en crise aujourd'hui. Comme elle est obsolète, la fin de l'histoire supposée par Francis Fukuyama au lendemain de la chute du mur de Berlin ! L'universalité du modèle de société libérale et démocratique a été radicalement remise en question. Les études postcoloniales notamment ont montré que les sociétés libérales ont, dès les origines, fait porter le poids de leurs "externalités négatives" aux peuples colonisés et aux écosystèmes. Plus personne ne peut faire mine de croire aujourd'hui qu'une généralisation du modèle de démocratie libérale à l'ensemble de la planète puisse être soutenable politiquement, ni même écologiquement. L'horizon de l'émancipation des peuples est en train d'être remplacé par celui de l'effondrement. Signe des temps, la dernière née des disciplines liées aux systèmes complexes s'appelle "collapsologie". Comment intégrer les coups de semonce que représentent les rapports du GIEC à une philosophie de l'histoire, sans pour autant céder à une tentation apocalyptique synonyme de renoncement et de débâcle morale ? Voilà certains enjeux éthiques pour les historiennes et historiens contemporains, dont les enfants défilent aujourd'hui dans la rue. Le programme est chargé, et passe, comme toujours en histoire, par une réinterprétation des corpus de recherche existants. La focale doit être désormais forcément planétaire et en particulier réintégrer dans le cadre les personnes et les choses qui ont porté le poids des "externalités négatives" des sociétés occidentales. La technique, elle aussi, avec les forces de traction qu'elle développe dans l'évolution des sociétés, doit être remise au centre du tableau. Dans son modeste contexte, la série de conférences annuelles "Sciences historiques et médias numériques" d'infoclio.ch essaye de se confronter à ces problématiques. Celle de l'année dernière, consacrée à l'histoire de l'environnement, accueillait Dipesh Chakrabarty pour discuter de l'entrée de l'échelle planétaire dans la pensée politique. Celle de cette année devrait discuter des enjeux liés à la provenance des objets et des matériaux qui circulent en Europe. Tout cela est tout à fait insuffisant, et nous devrions en faire beaucoup plus, mais du moins nous n'avons pas renoncé à essayer. Dites-le aux écoliers dans la rue !