Humanités numériques est une revue francophone publiée en libre accès et consacrée aux usages savants du numérique en sciences humaines et sociales. Éditée par l’association francophone Humanistica et diffusée sur la plateforme OpenEdition Journals, elle offre un lieu de réflexion, de débat scientifique et d’expression aux chercheurs et enseignants dont les travaux s’inscrivent dans ce champ. La revue s’adresse ainsi aux spécialistes des sciences humaines, des sciences sociales et des disciplines liées aux technologies de l’information, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui se sentent concernés par les transformations numériques des savoirs.
Le numéro 11 de la revue sera intitulé « Sobriété numérique ». Sa publication est prévue au printemps 2025.
Argumentaire:
Les crises environnementales, et en particulier la crise climatique, ont un impact sur les ressources disponibles à l’échelle planétaire et vont entraîner des évolutions sensibles dans l’ensemble des secteurs professionnels. Si certaines disciplines ont déjà mis en place des feuilles de route pour une transition vers la sobriété – dans le sens que lui donne The Shift Project dans son rapport « Déployer la sobriété numérique » –, c’est loin d’être le cas de manière systématique dans l’enseignement supérieur et la recherche (Hardy et Noûs 2023). Des disciplines, notamment celles dont l’impact est quantifiable et massif, ont commencé à remettre en question leurs pratiques, comme c’est le cas de l’astrophysique (Vargas-Ibáñez et al. 2024) ou de l’informatique (Lefèvre et al. 2022), par exemple. Les sciences humaines et sociales restent paradoxalement en retrait dans cette démarche, arguant en général de leur empreinte écologique comparativement faible. Pourtant, elles seraient tout à fait à même, parallèlement à la modification de leurs pratiques, d’élaborer le cadre épistémologique de cette nécessaire adaptation.
L’usage des technologies numériques est envisagé ici comme un enjeu transversal. Il s’agit à la fois d’une pratique commune à l’ensemble des disciplines de recherche – puisque même celles et ceux qui se défendent d’avoir une pratique numérique de recherche utilisent des ordinateurs et des bases de données au quotidien –, d’un domaine dans lequel la recherche de la sobriété bute sur le manque de référentiels clairs – les facteurs à prendre en compte dans les mesures d’impact n’étant pas toujours standardisés – et d’un catalyseur d’inégalités à l’échelle mondiale.
Ces questions ont déjà été abordées par deux groupements de recherche français : Labos 1point5, dont l’objectif est de réduire l’empreinte de la recherche en général et de sensibiliser les communautés de recherche (Blanchard et al. 2022), et EcoInfo (CNRS), qui entend favoriser un usage écoresponsable des outils informatiques aussi bien dans la recherche que dans les autres secteurs d’activité à forte composante numérique (Larger et al. 2022). L’un et l’autre ont développé des dispositifs de sensibilisation, mais la communauté des spécialistes de l’impact environnemental du numérique dans la recherche reste resserrée, ou du moins peu visible.
Le rôle des humanités numériques dans cette réflexion a vocation à être central. Les initiatives visant à réinterroger le champ des humanités numériques dans la perspective d’une réduction des ressources consommées, et donc d’une approche sobre, n’ont pas acquis une grande visibilité, mais elles existent bien, du manifeste « Digital Humanities and the Climate Crisis » (2020, prix de la meilleure exploration des échecs ou limites des humanités numériques en 2021) au Digital Humanities Climate Coalition Toolkit (publié depuis 2021), en passant par le groupe de travail de l’association germanophone des humanités numériques, DHd AG « Greening DH » (créé en 2021).
L’objectif de cet appel est donc de renforcer les travaux existants sur l’impact environnemental du numérique, de deux manières : d’une part, en contribuant au développement d’un cadre théorique permettant de penser la sobriété comme un élément fondamental dans la définition des disciplines et champs de recherche concernés ; d’autre part, en faisant émerger des synergies entre pratiques de quantification et stratégies de pérennisation. Nous souhaitons faire connaître des recherches abordant l’impact environnemental du numérique, en particulier dans les domaines des lettres, langues et sciences humaines.
Il s’agit de susciter et de mettre en valeur des travaux collaboratifs entre chercheuses et chercheurs en informatique, en informatique durable ou en lettres, langues et sciences humaines, pour améliorer l’état de l’art sur les mesures d’empreinte et pour interroger à plusieurs voix les évolutions disciplinaires qui s’imposent dans ce contexte de crise. Tout autant, nous espérons faire émerger les réflexions et retours d’expériences des personnels d’appui à la recherche, car ces personnels sont habituellement au plus proche de la pratique de recherche et de son intrication dans un contexte institutionnel contraignant. Les réflexions issues du milieu des infrastructures de recherche sont, elles aussi, vivement encouragées.
Les articles proposés pourront en particulier porter sur les thèmes suivants :
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Empreinte environnementale des activités fondamentales de la recherche sur données (collecte, archivage, publication, diffusion – voir Baillot 2023) et rôle que peut jouer l’outillage théorique des sciences humaines pour aborder les changements à venir
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Scénarios de partage et de réutilisation des données de la recherche, notamment dans la perspective des infrastructures
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Stratégies de sobriété dans la définition des projets de recherche (critères des cahiers des charges, minimal computing) ou dans les politiques de recherche des institutions, y compris leurs difficultés et leurs ambivalences
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Mesures d’empreinte et stratégies de réduction d’empreinte dans l’usage des données de la recherche en humanités numériques, en traitement automatique des langues ou en lettres, langues et sciences humaines (Strubell et al. 2019)
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Réflexions théoriques sur la nature de la transition à mettre en œuvre (ruptures systémiques, continuités historiques, modalités d’action à l’échelle individuelle ou collective, inscription dans les mouvements d’écologie politique)
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Intégration des enjeux écologiques dans l’enseignement des humanités numériques
Soumission des articles complets:
Pour ce numéro, dont toutes les contributions feront l’objet d’une évaluation conforme aux pratiques de la revue Humanités numériques, sous la responsabilité des éditrices invitées, nous vous prions de soumettre vos propositions sous la forme d’articles complets, rédigés en français, pour le 8 juillet 2024 sur la plateforme OJS de la revue : https://revue-humanites-numeriques.humanisti.ca.
Bien que la longueur des articles ne soit pas prédéfinie, nous considérons que 50 000 signes, espaces et notes comprises, représentent une limite courante et appropriée à la plupart des propos. Les fichiers doivent être transmis au format ODT ou DOCX et respecter les consignes aux auteurs de la revue. Les auteurs et autrices conservent leurs droits sur les articles, mais la publication dans la revue Humanités numériques se fait sous une licence Creative Commons.
Contacts:
Pour tout renseignement complémentaire, n’hésitez pas à contacter les éditrices invitées de ce numéro : Anne Baillot (anne.baillot@dariah.eu) et Anne-Laure Ligozat (anne-laure.ligozat@lisn.upsaclay.fr).
Références bibliographiques:
Baillot, Anne. 2023. From Handwriting to Footprinting. Text and Heritage in the Age of Climate Crisis. Cambridge : Open Book Publishers. https://doi.org/10.11647/obp.0355.
Blanchard, Marianne, Milan Bouchet-Valat, Damien Cartron, Jérôme Greffion et Julien Gros. 2022. « Concerned Yet Polluting : a Survey on French Research Personnel and Climate Change ». PLOS Climate 1 (9) : e0000070. https://doi.org/10.1371/journal.pclm.0000070.
Freitag, Charlotte, Mike Berners-Lee, Kelly Widdicks, Bran Knowles, Gordon S. Blair et Adrian Friday. 2021. « The Real Climate and Transformative Impact of ICT : a Critique of Estimates, Trends, and Regulations ». Patterns 2 (9) : 100340. https://doi.org/10.1016/j.patter.2021.100340.
Hardy, Antoine et Camille Noûs. 2023. « Quantifier la frugalité de la recherche ? » Socio. La nouvelle revue des sciences sociales 17 : 83‑117. https://doi.org/10.4000/socio.14157.
Larger, Simon, David Rongeat, Benjamin Ninassi, Didier Mallarino, Adrien Luxey-Bitri et Bertrand Mocquet. 2023. « Urgence sur les sobriétés numériques ! » La Collection numérique de l’Agence de mutualisation des universités et établissements d’enseignement supérieur 29. https://hal.science/hal-04269072.
Lefèvre, Laurent, Anne-Laure Ligozat, Denis Trystram, Sylvain Bouveret, Aurélie Bugeau, Jacques Combaz, Emmanuelle Frenoux, Gaël Guennebaud, Julien Lefèvre et Jean-Philippe Nicolaï. 2022. « Proposition de document de cadrage. Évaluation environnementale de projets impliquant des méthodes d’IA ». EcoInfo. https://hal.science/hal-03853135.
Strubell, Emma, Ananya Ganesh et Andrew McCallum. 2019. « Energy and Policy Considerations for Deep Learning in NLP ». Dans Proceedings of the 57th Annual Meeting of the Association for Computational Linguistics, édité par Anna Korhonen, David Traum et Lluís Màrquez, 3645‑3650. Florence : Association for Computational Linguistics. https://doi.org/10.18653/v1/P19-1355.
The Shift Project. 2020. « Déployer la sobriété numérique ». Paris : The Shift Project. https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2020/10/Deployer-la-sobriete-numerique_Rapport-complet_ShiftProject.pdf.
Vargas-Ibáñez, Leidy T., Kumiko Kotera, Odile Blanchard, Peggy Zwolinski, Alexis Cheffer, Mathieu Collilieux, Paul Lambert, Quentin Lefèbvre et Thomas Protois. 2024. « Life Cycle Analysis of the GRAND Experiment ». Astroparticle Physics 155 : 102903. https://doi.org/10.1016/j.astropartphys.2023.102903.