Colloque infoclio.ch 2013: L'édition en histoire à l'ère du numérique

Author of the report
Nicolas Chachereau
Université de Lausanne
Zitierweise: Chachereau, Nicolas: Colloque infoclio.ch 2013: L'édition en histoire à l'ère du numérique, infoclio.ch Tagungsberichte, 2014. Online: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0087>, Stand:


Exagérée, la rhétorique révolutionnaire des partisans des nouvelles technologies et autres Digital Humanists ? En insistant uniquement sur les améliorations supposées, leur discours provoque souvent irritation et haussements d’épaules. Si les transformations provoquées par la généralisation de l’informatique ne sont pas uniquement positives, elles sont pourtant bien réelles. Chaque année depuis cinq ans, le colloque organisé par infoclio.ch permet de réfléchir à l’impact du numérique sur la discipline historique. L’édition 2013, organisée le 15 novembre à l’Hôtel Kreuz à Berne, a été consacrée à «L'édition en histoire à l'ère du numérique».

Le numérique a des effets complexes et multiples sur l’édition en général et sur l’édition historique en particulier. En raison de cette complexité, les thématiques importantes sont revenues tout au long de la journée, à travers les cinq exposés et les deux tables rondes du colloque. Ce compte-rendu s’articule donc autour de ces grandes questions transversales, plutôt que de rendre compte du colloque de manière chronologique. Le lecteur intéressé pourra toujours se référer aux enregistrements des exposés et tables rondes.

Les défis du numérique

Il s’agissait premièrement d’évoquer ce qu’est l’édition numérique, quelles possibilités elle ouvre et quels défis elle pose. Dans le premier exposé du colloque, FRANÇOIS VALLOTTON (professeur d’histoire contemporaine et spécialiste de l’histoire de l’édition, Université de Lausanne) souligna les forces et les limites actuelles de l’édition numérique en histoire en Suisse : d’une part, des projets phares et d’importants efforts de rétro-numérisation ; d’autre part, peu de blogs scientifiques et une offre limitée de livres électroniques. Cette dernière est freinée par une demande faible, en raison du prix des ouvrages et des incertitudes relatives aux formats (incompatibilité des divers formats, systèmes de protection). L’exposé de JEAN RICHARD (directeur des Éditions d’en bas) fit écho à ces propos, en soulignant les nombreux défis technologiques et les besoins de formation qui se posent aux maisons d’édition, notamment pour pouvoir assurer une pérennité des contenus. Malgré ces problèmes, les éditeurs suisses commencent à développer une offre de livres numériques, comme tous le soulignèrent lors des deux tables rondes de la journée.

L’édition numérique offre des potentiels nouveaux de publication, eux aussi évoqués par François Vallotton. En particulier, la possibilité de publier en ligne, facilement, à peu de frais et en atteignant un public potentiellement très large, vient affecter les pratiques scientifiques. Que publiera-t-on encore à l’avenir sous forme de livre imprimé ? La publication sur papier va-t-elle disparaître ? Plusieurs intervenants suggérèrent d’adapter les formes de publication aux temporalités de la recherche : le work-in-progress, les résultats plus temporaires pourraient ainsi ne connaître qu’une vie numérique, tandis que les ouvrages de références, servant à plus long terme, pourraient être imprimés, le papier garantissant une pérennité. Les éditeurs, à l’instar de HANS-RUDOLF WIEDMER (directeur de Chronos Verlag), prévoient que les actes de colloque et les thèses de doctorat seront à l’avenir de moins en moins imprimés. On s’acheminerait vers une nouvelle configuration des pratiques scientifiques, basées sur la cohabitation des supports.

Un Open Access inéluctable et un indispensable travail d’édition

En matière de bouleversement des pratiques scientifiques, l’exigence de l’Open Access (OA) fut l’une des grandes thématiques du colloque. L’après-midi, dans un exposé assez différent des autres, GARY HALL (Professeur de Media and Cultural Studies, Conventry University, UK) esquissa de possibles bases philosophiques à l’idée de l’OA. Les théories du «post-humain», mettant l’accent sur la flexibilité de la personnalité et des frontières entre humain et non-humain, devraient nous pousser à rediscuter la figure de l’auteur et à accepter une perte de contrôle sur le contenu, jusqu’à accepter le «remix» de nos travaux. Ce furent cependant surtout les questions pragmatiques qui intéressèrent les intervenants lors des tables rondes, à la suite de l’exposé d’INGRID KISSLING-NÄF (Cheffe de la Division Sciences Humaines et Sociales du Fonds national suisse de la recherche scientifique). En suivant la tendance de ses homologues européens, le FNS impose depuis 2007 aux chercheurs de déposer une version numérique de leurs articles sur un serveur de documents (approche dite «green road», c’est-à-dire publication dans une revue classique, puis archivage d’une version en libre accès). Le FNS encourage de plus l’approche dite «gold road», c’est-à-dire la publication directe dans une revue OA. Dans le cas où cette publication demande un financement, les frais peuvent désormais être comptabilisés. Au-delà de ces règles, le FNS se trouve encore dans une phase de transition. Kissling-Näf souligna que la Suisse est en retard. En effet, les modèles existants dans d’autres pays définissent déjà de manière beaucoup plus claire le soutien à l’OA, notamment réduisant les subventions lors que l’article n’est pas publié en libre accès. L’après-midi, l’exposé de PIERRE MOUNIER (directeur adjoint, OpenEdition) offrit d’ailleurs un contraste intéressant en décrivant la situation française. La politique d’OA en sciences humaines et sociales y repose déjà sur différents piliers institutionnels : un dépôt centralisé d’articles, un portail de revues retro-numérisées et un plate-forme de livres d’OpenEdition.

Pierre Mounier décrivit également le virulent débat, «dans la bonne tradition française», qu’a suscité en France l’idée de l’Open Access. Des éditeurs et des revues ont ainsi pris des positions très critiques, y voyant avant tout un danger. Là encore, cela contraste avec la situation helvétique. Aucun des éditeurs présents lors du colloque ne s’opposa fondamentalement à l’accès libre, la plupart semblant partager l’idée qu’il est «inéluctable» (selon le terme d’OLIVIER BABEL, directeur des Presses polytechniques et universitaires romandes).

Cette ouverture peut surprendre, dans la mesure où la position des maisons d’édition est remise en question par cette exigence croissante d’OA. Dans son exposé, François Vallotton évoqua un processus de «désintermédiation»: le numérique bouleverse la chaîne traditionnelle du livre, supprimant les intermédiaires entre lecteurs et auteurs. Ceux-ci pourraient apparemment se passer d’imprimeurs, de libraires et, justement, de maisons d’édition. Les éditeurs présents lors de la première table ronde de la journée soulignèrent ainsi les difficultés croissantes auxquelles ils font face. Même si les causes sont diverses, Vallotton rappelant ainsi que le succès du livre d’histoire dans les années 1970 était dû à une conjoncture très particulière, le numérique joue un rôle important dans ces difficultés. Une étude néerlandaise, présentée par Mme. Kissling-Näf, démontrerait que l’OA n’affecte pas les ventes d’ouvrages papier. Ses résultats ne convainquirent guère les participants. MARCO JORIO souligna ainsi que le Dictionnaire historique de la Suisse, dont il est rédacteur en chef, a connu d’importantes baisses de vente, liées à son accès libre sur le web.

Dans ce contexte, à quoi servent les éditeurs ? Ont-ils encore un rôle à jouer ? Les éditeurs présents insistèrent sur leur rôle dans la sélection des ouvrages et la création d’un catalogue ayant une cohérence. Hans-Rudolf Wiedmer décrivit ainsi la maison d’édition comme une «station d’épuration» (Kläranlage). CLAUDE PAHUD (ALAIN CORTAT (directeur des Éditions Alphil) proposa qu’un financement supplémentaire soit disponible en cas de publication en Open Access, en fonction des ventes perdues. Pierre Mounier se montra de son côté sceptique sur la possibilité d’évaluer les ventes perdues, et évoqua plutôt des subventions liées aux dépenses des éditeurs.

Au-delà des différentes modalités évoquées, les intervenants rappelèrent la diversité des situations des maisons d’édition. Selon eux, le passage à un modèle où l’auteur paie, et non le lecteur, aurait des effets très différents pour un groupe comme Springer ou une petite maison d’édition comme Antipodes. Les éditeurs présents mirent ainsi en garde contre une adoption trop aveugle de certains modèles. Dans le même ordre d’idée, Pierre Mounier insista sur l’importance des bibliothèques, elles aussi potentiellement mises en danger par certains systèmes de financement.

En résumé, le colloque infoclio.ch 2014 a illustré la diversité des acteurs, et de leurs positions. Il ne sera pas simple de trouver des solutions consensuelles entre historien-ne-s, bibliothèques, organismes de financement de la recherche (FNS), petits et grands éditeurs, ou encore maisons d’éditions Open Access créée par des scientifiques eux-mêmes. Comme le faisait remarquer MONIKA DOMMANN (professeure d’histoire contemporaine, Université de Zurich) en conclusion de la première table ronde de la journée, la discussion autour des nouveaux modèles de l’édition historique ne se déroulera assurément pas toujours de manière harmonieuse!

Aperçu du programme

Session 1: L’édition historique en Suisse – Un État des lieux

- François Vallotton, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Lausanne – L’édition numérique en Suisse. Un regard...

- Ingrid Kissling-Näf, Leiterin Abteilung 1, Schweizerischer Nationalfonds - Die Förderung der geisteswissenschaftlichen Publikationen. Bilanz und Perspektiven

- Jean Richard, Directeur, Editions d’en bas – L’édition en histoire entre modèles traditionnels et nécessité de changement

Podium 1: L’édition historique en Suisse – Un État des lieux

- Modération: Monika Dommann, Professorin für Zeitgeschichte, Universität Zürich
- Marco Iorio, Chefredaktor, Historisches Lexikon der Schweiz
- Ingrid Kissling-Näf, Leiterin Abteilung 1, Schweizerischer Nationalfonds
- Claude Pahud, Directeur, Editions Antipodes
- François Vallotton, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Lausanne
- Hans-Rudolf Wiedmer, Leiter, Chronos Verlag

Session 2: Édition électronique, Open Access, et l’avenir de la publication scientifique en Histoire

- Pierre Mounier, directeur adjoint d'Open Edition – Edition numérique et débat sur l’Open Access en France

- Gary Hall, Professor of Media and Cultural Studies, Conventry University – Open Access Advocacy and the future of scholarly publishing

Podium 2: Le numérique dans l’édition historique en Suisse

- Modération: Stefan Nellen, Chef, Service d'analyses historiques des Archives fédérales suisses
- Olivier Babel, Directeur, Presses Universitaires Romandes
- Ruedi Bienz, Leiter und Inhaber, Schwabe Verlag
- Alain Cortat, Directeur, Editions Alphil
- Pierre Mounier, Directeur adjoint d’OpenEdition
- Bruno Meier, Leiter, Verlag Hier+Jetzt
- Jean Richard, Directeur, Editions d’en bas

Manifestazione
Colloque infoclio.ch 2013 - L'édition en histoire à l'ère du numérique
Organizzato da
infoclio.ch
Data della manifestazione
-
Luogo

Bern

Lingua
Tedesco
Francese
Inglese
Report type
Conference