The Invisibilised History of Chocolate and Cacao Trade

Author of the report
Andrew
Ferguson
Citation: Ferguson, Andrew: The Invisibilised History of Chocolate and Cacao Trade, infoclio.ch Tagungsberichte, 11.08.2025. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0330>, Stand: 21.08.2025

Responsabilité : Bernhard C. Schär et Christof Dejung

Intervenantes et intervenants : Letizia Pinoja / Michael Schmitz / Mathieu Humbert

BERNHARD C. SCHÄR (Lausanne) introduit la discussion en soulevant un paradoxe suisse : alors que le chocolat est l’un des produits les plus fortement identifiés à notre pays, de nombreux aspects de son histoire demeurent méconnus, notamment dans ce qu’ils disent des échanges économiques et sociaux entre la Suisse et les pays producteurs de cacao depuis la fin du 18e siècle.

En cherchant à mettre en lumière les éléments qui ont conféré à la Suisse sa place actuelle sur le marché du chocolat, LETIZIA PINOJA (Genève) interroge les deux narrations dominantes : celle d’une Suisse non coloniale, et celle de la célébration des entrepreneurs pionniers et visionnaires suisses qui, au XIXe siècle, ont contribué à populariser le chocolat au lait. Au carrefour de ces deux discours, elle évoque l’image d’Épinal d’un cacao qui tomberait directement du ciel dans un bidon de bon lait des Alpes.

Si l’industrie chocolatière romande, en particulier lémanique, continue à prospérer jusqu’à aujourd’hui, les succès passés du chocolat tessinois sont moins connus. Leur étude permet toutefois de s’intéresser de manière fine à la migration économique qui y était liée (vers Milan, Gênes, Amsterdam, notamment), contribuant à démythologiser la narration en l’insérant dans un contexte d’histoire économique transnationale.

En effet, dès la fin du XVIIIe siècle, les ramifications de l’économie coloniale s’étendent déjà jusqu’au fond des vallées tessinoises, notamment dans le Valle di Blenio. Les travaux de Pinoja cherchent à illustrer ces phénomènes en étudiant au plus près les sources disponibles (archives familiales tessinoises, archives suisses, italiennes et néerlandaises) ainsi que les échanges commerciaux et les parcours personnels liés à cette industrie.

En étudiant un corpus de lettres personnelles et commerciales d’une figure de l’aventure chocolatière du Valle di Blenio, Giovanni Martino Soldati (1747-1831), commerçant d’une famille bien établie dans la vallée, négociant en cacao opérant par correspondance depuis le Tessin, elle retrace de manière complète des expéditions de cacao datant de novembre 1791, permettant de situer le commerce tessinois dans un cadre global, d’Amsterdam à Olivone (Valle di Blenio) en passant par Nice, Gênes et Milan.

Les archives restent toutefois très fragmentaires (peu de sources écrites) et rendent nécessaire le recours au folklore, aux chansons populaires (qui font remonter au XVIe siècle des légendes suggérant que le chocolat aurait été inventé dans le Valle di Blenio) et à la culture matérielle (peintures, ustensiles, ex-voto) pour mieux comprendre les processus commerciaux, artisanaux puis industriels.

Les développements similaires observés à Vevey ou à Neuchâtel se sont avérés bien plus fructueux et le Tessin n’est pas devenu le leader de l’industrie chocolatière suisse. Pourtant, son histoire met en évidence les jalons essentiels qui ont permis à la Suisse de devenir une des plateformes mondiales du trading de matières premières, en particulier du cacao.

MICHAEL SCHMITZ (Zurich), pour sa part, se penche sur les divers réseaux de capitaux, de liens de confiance et de pouvoir qui entourent la trajectoire de la société de négoce suisse et brésilienne Wildberger & Cie. Fondée en 1903 à Bahia, cette entreprise érige un empire cacaotier par le biais de diverses successions et reprises d’agences et d’entreprises suisses pionnières sur le territoire brésilien dans la première moitié du XIXe siècle (Jezler Frères & Trümpy, C.F. Keller & Compagnie). Sur un marché très financiarisé, soumis à d’importantes fluctuations et nécessitant de grosses capacités en trésorerie, Wildberger se profile très vite comme un pionnier du crédit agricole brésilien, en partenariat avec des banques britanniques, américaines et brésiliennes. Il sera le plus gros exportateur de cacao brésilien de 1920 à 1940, puis l’un de ses plus importants producteurs dès 1936. Sur place, les conditions de travail sont extrêmement dures : 60 à 70% des revenus des travailleurs étaient dédiés à l’alimentation de base, et l’accès à des logements n’était en aucun cas garanti.

Son étude des archives de la famille Wildberger (correspondance, essentiellement) éclaire aussi les relations d’affaires étroites entre planteurs et esclavagistes, l’insertion de la compagnie dans un système de clientélisme oligarchique (coronelismo), typique du Brésil rural entre 1889 et 1930, fait de fraudes, de violences et de conflits manifestes d’intérêt. Ce mélange entre intérêts professionnels et personnels suscite également des mariages avantageux, permettant à l’entreprise de s’intégrer dans le tissu social brésilien et de s’inscrire dans la vie locale de Bahia. Il donne notamment en exemple Emil Wildberger (1871-1946), marié à Adelia Urpia, membre d’une des familles les plus aisées à Bahia. Son accès à l’élite locale s’appuie également sur ses fonctions de consul général de Suisse à Bahia et représentant de banques françaises et britanniques.

Cet éclairage permet également d’étudier l’intégration de Bahia sur le marché mondial du cacao. Jusqu’à être dépassée par l’Afrique de l’Ouest (Ghana, Côte d’Ivoire) dans la première moitié du XXe siècle, cette région brésilienne en était le plus grand producteur mondial. Schmitz souligne l’importance des réseaux d’agences, en particulier schaffhousoises, qui soutenaient et relayaient l’activité de la maison Wildberger. Les sources permettent d’entrevoir les nombreuses disputes et tensions qui résultent de la nécessité de concilier des intérêts concomitants : ceux de l’oligarchie locale, avec ses liens d’intérêt et de clientélisme, et ceux plus strictement commerciaux des agences suisses et de leurs contacts d’affaires internationaux.

MATHIEU HUMBERT (Brig) partage ses impressions et ses réflexions de recherche sur le commerce de cacao entre la Suisse et l’Afrique de l’Ouest. Il rappelle à son tour la présence incontournable du chocolat dans la mythologie entrepreneuriale suisse, qui célèbre l’esprit innovant et visionnaire de ses pionniers. Il relève la présence constante de la Suisse dans les activités de négoce de cacao dès le début du XXe siècle (à l’heure où le cacao, de produit de luxe, devient un produit industriel de masse), essentiellement dans des activités de négoce et de coopération avec des entreprises britanniques et locales. Cette position dominante reste pleinement d’actualité aujourd’hui.

Son étude des réalités du marché cacaotier d’Afrique de l’Ouest permet de distinguer les différences fondamentales entre ce dernier et le marché d’Amérique du Sud : les tentatives d’agriculture intensive occidentales (où la force de travail esclavagiste était essentielle), si elles ont pu se développer de manière optimale dans les plantations d’Amérique du Sud, se sont toutes avérées vaines en Afrique de l’Ouest (exempte d’esclavage), qui est toujours restée sur un modèle agricole extensif très peu concentré, constitué d’innombrables petits producteurs locaux et plus adapté à la fragilité de la plante. Il met également en évidence le moment de bascule qu’a représenté le début du XXe siècle, lorsque la récente abolition de l’esclavage et diverses épidémies végétales ont mis à mal le leadership de l’Amérique du Sud. Le négoce occidental se tourne alors progressivement vers le marché africain, faisant de l’Afrique de l’Ouest le leader mondial de la production de cacao, avec un leadership passant du Ghana (dès 1911) à la Côte d’Ivoire en 1978. Ces deux acteurs représentent aujourd’hui plus de 50% de la production mondiale de cacao.

Ses recherches lui permettent ainsi de dégager divers points de tension propres au cycle commercial du cacao : aléas et maladies naturelles, déforestation, monoculture, travail infantile et pauvreté, ainsi que la très forte volatilité du marché, alternant sur des périodes de 15 à 20 ans entre périodes de boom et de stagnation. Le développement des activités cacaotières occidentales a également été limité par les évolutions politiques au Ghana : dès 1957, les acheteurs étrangers doivent passer par les autorités locales et ne peuvent plus traiter directement avec les producteurs, ce qui permet un maintien du contrôle gouvernemental sur le marché du cacao.

CHRISTOF DEJUNG (Berne) conclut en soulignant l’importante contribution de l’histoire du cacao à l’histoire sociale et à la compréhension du développement d’une bourgeoisie globale. Par la complexité de son économie, le cacao offre de nombreux angles de visibilisation et d’invisibilisation. La présence du chocolat en Europe est le résultat de son impérialisme. L’esclavagisme et le travail des enfants sont également endémiques à la culture du cacao et font apparaître le caractère extrême de sa chaîne économique, du petit artisanat agricole très peu mécanisé aux multinationales de l’industrie agro-alimentaire. Pour compléter, Pinoja relève l’importance des fraudes et vols dans les ports d’arrivée, Amsterdam et Gênes notamment, que Soldati évoque dans sa correspondance. Elle rappelle pour finir qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, le cacao était essentiellement utilisé comme boisson énergisante et médicinale, réservée à une élite. D’un produit de luxe à l’usage confidentiel, son adoption comme boisson- puis aliment-plaisir s’est progressivement généralisée, ouvrant la voie aux modes et volumes actuels de consommation de masse.

Aperçu du panel :

  • Pinoja, Letizia : The Colonial Origins of the Swiss Chocolate Industry in the 18th century
  • Schmitz, Michael: Discret Webs of Power: Swiss-Managed Global Cacao Trade in Bahia, Brazil (c. 1900-1980)
  • Humbert, Matthieu: Switzerland and West-African Cacao: Economic Transformations in Global Agriculture (20e c.)?

Ce compte rendu fait partie de la documentation infoclio.ch des 7es Journées suisses d’histoire.

Event
Siebte Schweizerische Geschichtstage
Organised by
Schweizerische Gesellschaft für Geschichte
Event date
-
Place
Luzern
Language
French
Report type
Conference