Si la recherche académique sur le média radiophonique a représenté jusque dans les années 2000 le « parent pauvre » de l’histoire des médias, l’intérêt pour les études sur le sonore et notamment le développement des sound et audio studies, ainsi que leur présence croissante sur le plan de l’enseignement comme de la recherche, ont contribué à étoffer l’historiographie et à renouveler les approches et l’intérêt pour ce domaine (Antoine 2016). Il n’en reste pas moins que les recherches historiques ont privilégié majoritairement une approche monographique assez compartimentée, les aspects institutionnels, techniques, esthétiques ou encore communicationnels ne dialoguant encore que trop rarement.
C’est fort de ce constat que le pôle «Histoire audiovisuelle du contemporain» au sein du Centre des sciences historiques de la culture de l’UNIL souhaite organiser une rencontre scientifique qui a comme ambition de prolonger les interrogations sur le rôle de la radio comme laboratoire de l’innovation sur le plan social et culturel, cela dans une perspective francophone, à la fois comparative et transnationale.
Si l’innovation est par définition constatée a posteriori (Popper in Boyer 2006), il est indéniable que ce terme est souvent associé à différentes démarches expérimentales, dont ce média a été porteur comme référence incontournable.
En tant que phénomène social, il faut rappeler que l’avènement de la radio a tout de suite amené certains intellectuels à parler de ce média comme un vecteur propre à mettre fin aux conflits, grâce au dépassement sur le plan national des différences en termes d’éducation et de connaissance (Arnheim 1933/1936), ou encore à envisager la radio comme un système de communication à destination de publics variés, mais aussi caisse de résonance potentielle des anonymes (Brecht 1932). Du point de vue d’une radio comme laboratoire d’innovation, ces idées ont trouvé des répondants
dans la mise en place d’expériences radiophoniques ou de radios spécifiques tout au long du XXe siècle.
Plus globalement, les aspects novateurs présents tant dans la réflexion sur ce média que dans son développement ont eu un impact certain dans les domaines sociaux et culturels. Ces innovations ont par ailleurs donné naissance à de nouveaux secteurs et professions ; pensons par exemple aux possibilités renouvelées de formation à distance, notamment dans les régions rurales, ou au bouleversement des professions journalistiques avec le reportage en direct ; mais aussi à des changements en lien avec l’introduction de l’enregistrement, de la bande magnétique ou encore de l’alimentation par piles. On peut aussi plus largement réfléchir au renouveau du rapport avec l’audience ou encore aux étroites relations avec l’industrie de la musique. Enfin, la matérialité même de l’objet radio nous offre des pistes propres à nourrir l’approche proposée (Fesneau 2011 ; Fickers 2013 ).
Dans le monde francophone, on peut se référer au travail théorique, mais aussi pratique de Pierre Schaeffer dans l’immédiat après-guerre (Tournet Lammer 2007). Au-delà de cette figure et de ce champ circonscrit, nous souhaiterions nous interroger plus largement sur les spécificités du dispositif médiatique représenté par la radio et son évolution dès les premières émissions de 1922 jusqu’à l’avènement du numérique, en interrogeant la place et le rôle de la radio dans le contexte temporel qui est celui des diverses innovations (Flichy 2003), mais aussi dans ses différentes utilisations au
niveau international.
Trois dimensions nous semblent, à ce titre, importantes à faire dialoguer, soit la question technique et des infrastructures, celle des contenus et des multiples innovations sur le plan des programmes et des formats, enfin le rôle social et culturel de la radio depuis sa formalisation dans les ambitions du service public jusqu’à sa remise en question par des acteurs alternatifs, mais aussi des usages renouvelés.
Cette approche globale aurait l’ambition de réfléchir aux spécificités d’un média aux contours ambivalents. Média de flux développant une esthétique du direct, mais aussi média de stock, déployant, dès les possibilités d’enregistrement, une politique de commande et d’archivage, la radio se caractérise aussi bien par la complexité institutionnelle et technique de son dispositif que par des initiatives subversives d’un côté, des innovations techniques facilitant son utilisation et recomposant sa réception de l’autre. En ce sens, les protagonistes de son développement sont amenés à réinventer
constamment leurs pratiques, la conjonction d’un public à la fois amateur et professionnel caractéristique de la genèse et de l’essor du média trouvant des prolongements dans le mouvement des radios pirates ou d’autres formes de radios alternatives.
Les propositions de communications pourraient s’inscrire dans les champs thématiques suivants :
1) Les expérimentations techniques sous le triple angle de la production, de la distribution et de la consommation. Au-delà d’une approche linéaire et mécanique de «l’invention» de nouveaux dispositifs, il s’agirait de réfléchir aux réseaux et aux acteurs et actrices (économiques, scientifiques, institutionnels) associé·e·s à la mise en œuvre de l’innovation et à leurs répercussions sur la programmation et les formats d’une part, les modalités de réception large de l’autre. A cet égard, les questions, déjà partiellement balisées, de la révolution de la bande magnétique, qui change aussi les auralités des genres – pensons au théâtre – ou encore la miniaturisation des magnétophones et de la prise de son, la naissance des marchés des postes transistor, mais aussi plus globalement les effets d’une écoute individuelle et mobile peuvent être autant de pistes à prolonger dans l’optique aussi d’une histoire sensible de l’audible. Par ailleurs, on pourra s’intéresser à la multiplication d’un certain nombre de centres de recherches électroacoustiques qui servent d’interface entre milieux techniques et culturels.
2) Une deuxième articulation de la thématique peut se référer plus spécifiquement à la question des programmes, mais aussi des dispositifs et esthétiques radiophoniques. La création théâtrale, la musique, le reportage sportif, l’interview, la table ronde : comment les langages, les sonorités et les contenus de ces genres radiophoniques ont-ils participé à une innovation esthétique et culturelle ? Comment ces lieux ont-ils pu être des laboratoires d’innovation culturelle ou sociale, au travers par exemple de relations renouvelées avec le public, grâce au potentiel participatif des auditrices et auditeurs prévu dans le cadre spécifique du programme de la radio (de service public, communautaire …) ? On pourra aussi se questionner sur certaines évolutions techniques, par exemple le duplex, voire le multiplex, et leur influence sur la programmation et les nouvelles formes de communication. Enfin, certaines figures professionnelles pourraient aussi être investiguées, notamment dans leur interdépendance étroite avec d’autres formes médiatiques.
3) Enfin, une troisième perspective serait consacrée au rôle de la radio dans le changement social, qu’il s’agisse de la fonction d’intégration de groupes spécifiques au sein du service public – ou d’expériences radiophoniques spécifiques par ces mêmes groupes – du rôle de formation (et/ou d’acculturation) assumé par les institutions radiophoniques au niveau local comme international ou encore de «l’invention» de nouvelles formes d’activisme ou de sensibilisation politiques et citoyennes, en élargissant la recherche à des espaces géographiques moins traités. Sur un autre plan, on pourra s’interroger sur le rôle de la radio dans la constitution de nouveaux publics, qu’il s’agisse de communautés au niveau régional et national ou d’auditeurs et auditrices «diasporiques». Une approche qui doit s’interroger sur le lien entre radio et territoire en intégrant des jeux d’échelle différenciés sur le plan tant spatial que diachronique. De la même manière, les publics différenciés en matière de genre, de génération et de catégorie socioprofessionnelle seraient aussi à prendre en
compte.
Détails pour la soumission
Les propositions (maximum 500 mots) sont à nous adresser aux deux adresses suivantes :
francois.vallotton@unil.ch et nelly.valsangiacomo@unil.ch, avant le 15 décembre 2023. Nous serions reconnaissant.e.s aux personnes intéressées de joindre à leur proposition un court CV.
Le comité d’organisation rendra réponse aux contributeur.trice.s d’ici fin janvier 2024.
Le colloque aura lieu les 24 et 25 octobre 2024. La langue du colloque est le français.
l’Unil prendra en charge l’hébergement à Lausanne. Dans l’impossibilité de connaître actuellement le budget de notre manifestation, il nous est difficile à ce stade d’estimer notre volant de manœuvre quant à la prise en charge des frais de déplacement. Merci de nous préciser le cas échéant l’impossibilité d’une telle prise en charge par votre unité d’enseignement et/ou de recherche. Une publication sera issue du colloque et nous souhaiterions par conséquent pouvoir compter sur la remise d’un article d’environ 40'000 signes d’ici à l’été 2025.
Toute question peut être adressée aux deux adresses susmentionnées.
Comité scientifique
Henri Assogba, Université Laval, Québec
Marion Chénetier-Alev, ENS, Paris
Etienne Damome, Université Bordeaux-Montaigne
Andreas Fickers, Université du Luxembourg
Manon Houtard, Université de Namur
Cécile Meadel, Université Paris Panthéon-Assas
Rudolf Müller, Association Memoriav, Berne
Marta Perrotta, Università Roma Tre
Raphaëlle Ruppen Coutaz, Université de Lausanne