L’expression « Suisse, terre d’asile » a peu à peu pris valeur de cliché. Pourtant le pays accueille le siège de nombreuses associations humanitaires dans la Genève internationale. Depuis son origine, les valeurs de neutralité, d’impartialité et d’indépendance que la Croix-Rouge a en commun avec la Suisse se mêlent et s’entremêlent, leur symbole allant jusqu’à se superposer et s’intervertir : croix rouge sur fond blanc, croix blanche sur fond rouge. La tradition humanitaire est ancrée comme valeur helvétique que le pays se doit d’incarner sur la scène internationale. Cette tradition d’accueil est pourtant mise à mal lorsqu’on évoque la politique d’asile au début des années 1980. Le sujet est en effet brûlant : l’afflux massif des réfugiés et leur provenance diversifiée entraînent un verrouillage de la part des autorités helvétiques et un durcissement des conditions d’accueil, ce qui déclenche une vive polémique.
Alors que le débat fait rage, la Croix-Rouge suisse accepte en 1983 le mandat de gestion des centres d’accueil pour requérants d’asile. Face à la tourmente, elle cherche à garder le cap, fidèle à ses valeurs humanitaires, de neutralités et d’indépendance. Toutefois, les troubles sociaux qui secouent la région lausannoise à cette période s’invitent au sein du Secteur des Candidats réfugiés. Confrontés à des conditions de travail difficiles, une partie des collaborateurs, soutenus par le syndicat de la Confédération romande du Travail, s’empare du sujet et accuse la Croix-Rouge de renier ses valeurs fondatrices, certains militants allant jusqu’à se mettre en grève en 1989. L’événement défraie la chronique et la presse locale s’en donne à coeur joie, suivant les rebondissements de cette affaire de grève au pays de la paix du travail, qui plus est dans une institution reconnue pour son oeuvre humanitaire.
Le travail s’intéresse aux logiques qui président la naissance d’un mouvement social de ce type, les conditions de mobilisation des militants, ainsi que son déroulement et les interactions entre ses différents acteurs. Les spécificités suisses, ainsi que celles de l’institution dans laquelle la grève apparaît rendent en effet l’analyse du contexte particulièrement pertinente. Les conditions de travail précaires des collaborateurs sociaux rendent par ailleurs l’émergence et la construction d’un mouvement de contestation improbable. Pourtant, des travailleurs de la Croix-Rouge lausannoise se sont mobilisés une première fois pour l’amélioration de leurs conditions de travail, puis à nouveau en faveur des requérants d’asile. Ceci soulève donc la question des conditions d’émergence et de l’itinéraire de ces mobilisations improbables.