Googlos

Google a beaucoup fait parler de lui en Suisse ces dernières semaines avec la mise en ligne de « Google Street View ». Un autre projet Google concernant directement la Suisse est également sur le point de se terminer. Il fera sans doute moins parler de lui dans la presse, mais sera certainement plus utile aux historiennes et aux historiens.
Il s’agit de Googlos (pour Google-Lausanne), un partenariat public-privé signé en 2007 entre la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCU) et le géant d’internet. Le dernier envoi de livres de la BCU pour leur destination secrète de numérisation au Royaume-Uni aura lieu dans le courant de l’automne. Silvio Corsini, conservateur des livres anciens de la BCU et cheville ouvrière de Googlos, peut à juste titre être fier du résultat : au total, près de 100'000 volumes de la BCU, allant du XVIIe siècle à 1868 (donc libres de droits d’auteur) auront été scannés par Google durant les deux dernières années. Environ 70'000 d’entre eux sont déjà accessibles aujourd’hui par le site Google Books (en français Google livres).

Annoncé en 2004, le projet pharaonique Google Book Search, prévoyant la numérisation et mise en ligne gratuite de 15 millions de livres, avait tout d’abord suscité une certaine inquiétude en Europe : allait-il favoriser une américanisation de la culture au niveau mondial ?
Cette crainte n’a pas disparu. Ainsi, l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale de France, Jean-Noël Jeanneney, a-t-il publié le 26 août dernier un article incendiaire dans le Figaro, fustigeant la volonté de la nouvelle direction de la BNF de s’associer à Google pour la numérisation d’une partie de ses collections.
Pourtant, la manière dont s’est développé Google Books permet d’affirmer aujourd’hui que les craintes exprimées par Jeanneney ne sont pas fondées. Plusieurs grandes bibliothèques européennes - et une bibliothèque japonaise - ont depuis rejoint le projet, élargissant considérablement le noyau initial composé de bibliothèques anglo-saxonnes. Surtout, Google n’opère aucune sélection des ouvrages par langue ou par contenu, mais numérise tout ce qui est techniquement possible, contrairement à ce que l’ancien directeur de la BNF propose dans son contre-projet. Jeanneney souhaite que des experts trient les ouvrages qui mériteraient d’être rendus accessibles par internet. Il va jusqu’à écrire dans son article du Figaro : « Mais qui parle d'une telle exhaustivité ? Elle est contraire au principe même de l'effort, qui consiste précisément à choisir parmi l'immensité des parutions afin d'offrir aux citoyens, aux journalistes, aux enseignants, un fil d'Ariane dans l'exploration de notre héritage culturel, contre cet ennemi essentiel : le vrac ». Or, c’est justement la non-sélection des ouvrages et la numérisation en masse qui assurera à Google Books son succès auprès des chercheurs et des lecteurs curieux du monde entier.

Klaus Ceynowa, vice-directeur de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich résume de manière très claire les différents enjeux du partenariat entre Google et les bibliothèques publiques européennes (pdf en ligne de cet article, en traduction française). D’après Ceynowa, la participation d’une bibliothèque telle que celle de Munich au projet Google Books n’est pas du tout incompatible avec une mise en valeur du patrimoine culturel européen, bien au contraire. Les montants gigantesques nécessaires à la numérisation de millions de volumes sont payés par Google, mais les bibliothèques reçoivent une copie digitale « maison » (sans marque Google) de chacun de leurs ouvrages traités par Google. Les bibliothèques restent propriétaires de cette copie-là et peuvent en faire ce qu’elles veulent : par exemple la rendre consultable via leurs propres catalogues ou l’intégrer dans une base de donnée nationale voire européenne. La bibliothèque virtuelle Europeana, tout d’abord pensée comme la « réponse » européenne à Google Books, pourrait en fait se nourrir des copies « maisons » que Google a fournis à ses bibliothèques partenaires.

La BCU de Lausanne a choisi de renvoyer ses lecteurs à la copie mise en ligne par Google Books. Ces liens directs, qui seront intégrés au catalogue RERO à la fin du mois d’octobre 2009, faciliteront la recherche des ouvrages numérisés de la BCU.

Les seiziémistes devront pour leur part prendre leur mal en patience : Googlos ne concerne pas les ouvrages plus anciens que 1600. Le projet e-rara comblera bientôt, il faut l’espérer, cette lacune.