Panel: The rich guests of a mercantilist state. Foreign merchant communities in France in the 18th century

Auteur du rapport
Cédric
Chambru
Université de Genève
Citation: Chambru Cédric: « Panel: The rich guests of a mercantilist state. Foreign merchant communities in France in the 18th century », infoclio.ch Tagungsberichte, 25.06.2019. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0181>, consulté le 05.12.2024

Responsabilité: Magnus Ressel, Marco Schnyder
Intervenant-e-s: Laurent Burrus, Marco Schnyder, Magnus Ressel
Commentaire: André Holenstein

Version PDF du compte rendu

Ce panel, organisé par MAGNUS RESSEL et MARCO SCHNYDER, avait pour objectif de documenter la place et l’action des marchands suisses et allemands en France au cours du XVIIIe siècle. Alors que le poids économique du Royaume de France rend l’accès à son marché intérieur extrêmement attractif, la politique mercantiliste mise en place pendant le règne de Louis XIV et l’action de certains acteurs économiques rendaient parfois complexes l’installation de marchands étrangers dans le royaume. Toutefois, ce système commença à s’essouffler dès 1680 et la France dut progressivement s’ouvrir aux marchands étrangers pour soutenir son activité économique. Dès lors, l’accès à l’information, l’utilisation de réseaux personnels et activités de lobbying sont des éléments clés pour acquérir un avantage comparatif sur les autres groupes de marchands. À l’aide de trois exemples distincts, ce panel s’attache à montrer comment les marchands suisses et allemands ont su tirer parti de cette situation complexe pour établir leur propre réseau commercial, obtenir des privilèges et s’enrichir au cours de cette période.

Dans un premier exposé, MAGNUS RESSEL présente l’évolution de la place des marchands allemands à Lyon au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Fortement affaiblies par la Guerre de Trente Ans, la politique mercantiliste de Louis XIV, et les attaques contre le protestantisme dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les activités commerciales de la « nation allemande » à Lyon avaient quasi-disparu à la fin du XVIIe siècle. Au contraire, la « nation suisse » parvint à tirer son épingle du jeu, utilisant sa neutralité pour servir d’intermédiaire entre la France et les villes impériales. Ainsi, dans un rapport sur l’activité commerciale de Lyon, l’intendant Henri-François Lambert d'Herbigny soulignait l’importance des exemptions de droits de sortie dont bénéficiaient les marchands Suisses par rapport aux marchands allemands.1 Magnus Ressel montre ainsi comment les marchands allemands ont utilisé leur proximité linguistique et culturelle avec la « nation suisse » pour développer à nouveau leur réseau commercial à Lyon. En effet, de nombreux marchands allemands avaient migré en Suisse et étaient devenus officiellement membres de la « nation suisse » au cours du XVIIe siècle. Bien que formellement séparés en deux groupes, les marchands allemands constituaient de fait un groupe de marchands luthériens servant des villes impériales allemandes, en utilisant tour à tour les privilèges et les ressorts diplomatiques des nations suisses et allemandes. Le développement de cette activité commerciale autour de Lyon a également été bénéfique à la France, et notamment aux ports de Marseille et de Bordeaux, qui ont pu intégrer de nombreux produits issus d’Europe centrale dans leurs échanges commerciaux avec le reste du monde.

L’exposé suivant, donné par MARCO SCHNYDER, documente la manière dont les marchands suisses ont su au cours du XVIIIe siècle préserver leur position commerciale et leurs privilèges en déployant une activité de lobbying intense auprès des acteurs économiques et des autorités politiques de la ville. Au-delà des cadeaux et étrennes régulièrement distribués, la « nation suisse » organisait ponctuellement des fêtes grandioses afin de célébrer un événement particulier– par exemple la naissance du Dauphin en 1729. Afin d’analyser l’organisation de ces fêtes et l’action des marchands suisses, Marco Schnyder utilise les « Annales de la nation Suisse à Lyon » pour décrire les motivations des acteurs et comprendre comment ces dépenses somptuaires ont pu être utilisées par les marchands suisses pour maintenir leur place prédominante dans l’espace commercial lyonnais. Par exemple, en 1712, la « nation suisse » convia l’ensemble de ses membres protestants, ainsi que les plus éminents marchands suisses catholiques, a participer à un banquet dans une villa louée spécialement pour l’occasion sur les hauteurs de Lyon. Parmi la centaine d’invités conviée, les principaux dirigeants de ville de Lyon et des représentants des autorités du Royaume de France étaient également présents. Après plusieurs coups de canon débute le repas de trois services comprenant chacun neuf plats mettant en avant des produits suisses, le tout accompagné de plusieurs dizaines de bouteilles de vin de Bourgogne et de Champagne. Ces repas, très souvent suivis de spectacles et autres feux d’artifices, contribuent au renforcement de la réputation de la « nation suisse » et au maintien d’un capital social important et indispensable à la bonne conduite des affaires des marchands suisses. Ces dépenses somptuaires témoignent à la fois de la force de la communauté marchande suisse qui peut dépenser plusieurs milliers de livres tournois pour s’attirer les faveurs des magistrats lyonnais, mais aussi de leur vulnérabilité: la défense de leurs privilèges nécessitant une activité permanente de lobbying afin « d’entretenir le bonne volonté » et de « cultiver la bienveillance » des autorités locales.

Le dernier exposé s’attache à exposer la place des marchands helvétiques parmi les marchands étrangers à Marseille au XVIIIe siècle. Groupe dominant de la communauté marchande protestante étrangère, les marchands suisses contribuent au développement de l’activité économique et commercial du port de Marseille. LAURENT BURRUS s’appuie sur l’étude de trois sociétés de commerce pour montrer comment les marchands suisses mobilisent leur réseau personnel et utilisent des stratégies familiales distinctes pour construire leurs succès dans la durée. Par exemple, alors que les marchands fribourgeois recherchent une intégration plus forte avec les marchands locaux marseillais à travers des mariages mixtes, les marchands protestants affirment leur identité propre à travers des mariages endogames et de nombreux baptêmes clandestins.2 L’ensemble de ces marchands habitent près des lieux de pouvoir de la ville de Marseille, possède très souvent une bastide dans la campagne avoisinante – un comportement caractéristique du mode de vie de la bourgeoisie marchande de la ville de Marseille –, et nouent de nombreux partenariats avec des marchands marseillais dans le cadre d’achats partagés de navires marchands. Lors des successions, les héritiers n’hésitent pas à vendre ou arrenter une partie de leurs biens à la bourgeoisie locale, renforçant encore les liens existants entre les deux groupes. Ces diverses stratégies ont ainsi permis aux membres marchands de la « nation suisse » de prospérer tout au long du XVIIIe siècle. Laurent Burrus souligne enfin que la faible représentativité de son échantillon ne lui permet pas d’élargir ses conclusions à l’ensemble de la communauté suisse présente à Marseille.

ANDRÉ HOLENSTEIN a conduit la discussion qui a suivi ces trois présentations. Après avoir résumé brièvement chacune des contributions des auteurs et souligné la bonne santé des réseaux commerciaux de la « nation suisse » au cours du XVIIIe siècle, il adresse quelques questions aux panelistes et ouvre la discussion à l’ensemble du public. Un point soulevé concerne l’importance du rôle des femmes dans l’établissement de relations professionnelles et personnelles avec les élites politiques et économiques locales. Enfin, une dernière remarque interroge l’importance de la neutralité helvétique, en tant qu’avantage comparatif, afin d’expliquer le succès des réseaux marchands suisses pendant le XVIIIe siècle.

Notes

1 « Par les privilèges des Foires de Lyon, les marchandises en tems de foire sont exemptes de tous drois de sortie. L’exemption des Suisses monte à plus de 120 000 l. par an. Elle ne va pas à 1 500 l. pour les Allemans, qui sont en petit nombre. »
2 Depuis la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685, le Protestantisme et la pratique des offices religieux qui lui sont attachés sont officiellement interdits en France.



Aperçu du panel:

Ressel, Magnus: Lutherisch, Reichsstädtisch, Reich: Die deutschen Händler in Lyon im 18. Jahrhundert

Burrus, Laurent: La fortune au comptoir. La richesse des négociants protestants de la nation suisse à Marseille au XVIIIe siècle

Schnyder, Marco: "Les femmes fîrent beaucoup moins de fraix pour leur fête". Les marchands suisses et le financement des pratiques de lobbying (Lyon, XVIIIe siècle).



Ce compte rendu de panel fait partie de la documentation infoclio.ch des 5èmes Journées Suisses d'Histoire.

Evènement
5èmes Journées Suisses d'Histoire
Organisé par
Société suisse d'histoire et Université de Zürich
Date de l'événement
Lieu
Zürich
Langue
Français
Report type
Conference