Citation:
Rossinelli Fabio: « Panel: Nature en ville et villes dans la nature. Paysages, monumentalité et jardins dans les villes de montagne (XIIe-XIXe s.) », infoclio.ch Tagungsberichte, 13.07.2022. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0252>, consulté le 14.11.2024
Responsabilité: Roberto Leggero
Intervenantes et intervenants: Andrea di Salvo, Nicolas de Félice, Roberto Leggero
Commentaire: Fabio di Carlo
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Ce panel traite de la montagne en tant que concept géographique opposé à la plaine dans le but d’y saisir le développement urbain au cours des siècles. Si la création de villes montagnardes a déjà intéressé la communauté scientifique, l’historiographie a parfois tenu certains aspects comme allant de soi. Le rapport de la ville de montagne à la nature environnante est l’un de ceux-ci. Quelle est l’influence du facteur naturel dans l’aménagement urbain en contexte montagnard ? Comment la nature est-elle représentée au sein des espaces habités et vécus ? Quelle relation existe-t-il entre l’intérieur et l'extérieur des villes ? En quoi cette relation donne lieu à des imaginaires qui sous-tendent des constructions identitaires ? Modéré par FABIO DI CARLO (Rome), cet échange repose sur des études de cas embrassant des approches (géohistoire, histoire de l’architecture ou des voyages), périodes (de l’Antiquité à nos jours) et sources (écrites et visuelles) diverses.
ANDREA DI SALVO (Rome) souligne que le rapport entre la ville et la nature est souvent présenté comme dichotomique. Cette opposition se fonde cependant sur un postulat qu’une analyse historique de longue durée permet de contester. La présence de la nature en ville est certes pérenne, mais elle est changeante. A l’appui de nombreux exemples généreusement illustrés, di Salvo retrace l’évolution de plusieurs villes en Europe, particulièrement en Suisse et en Italie. Il montre ainsi le dialogue et le transfert mutuel entre ville et nature. Le marché, par exemple, est un moment où la relation est étroite, dans un jeu de miroir avec la campagne. Physiquement, il s’agit d’un espace ouvert, collectif, souvent complètement minéral, néanmoins associé, dès le Moyen âge et d’un point de vue sémantique et artistique, au jardin. À la même époque, des jardins sont attestés dans les villes, non seulement sous forme d’horticulture alimentaire, mais aussi pour agrémenter le paysage. Avec la Plaine de Plainpalais et la Promenade des Bastions, Genève est représentative d’un processus d’urbanisation incluant une « naturalisation » des espaces. Au 19e siècle, à l’image des jardins privés qui ne sont plus une prérogative des seules classes bourgeoises, d’autres usages se popularisent. Des arbres sont par exemple plantés dans les zones portuaires de Vevey et de Lugano : si leur fonction est de protéger les marchandises en attente d’embarquement, ils structurent durablement les boulevards lacustres. De nos jours, des espaces publics sont aménagés en potagers communs au cœur des villes. La nature a donc façonné le développement urbain et elle continue de la faire. Ce phénomène ne participe donc pas d’une mode issue de la rhétorique européenne actuelle du green deal, mais trouve un ancrage historique que la recherche doit traiter pour élaborer une dialectique adéquate au sens philosophique du terme.
L’intervention de NICOLAS DE FELICE (Lausanne) retrace la biographie de Georges-Constantin Naville (1755-1789). Issu d’une famille genevoise ayant fait fortune dans l’horlogerie, cet acteur voyage beaucoup, notamment en Suisse, où il sillonne l’Arc lémanique, les Alpes valaisannes et le Jura bernois-neuchâtelois durant les années 1770. Zélé, le Genevois note ses impressions sur les lieux visités et les gens rencontrés. Il accorde une attention particulière à la « mise en valeur » des territoires et de leurs ressources, dont il attribue le succès ou l’échec aux gouvernements. Aux yeux de Naville, l’urbanisation de localités montagnardes comme Le Locle et La Chaux-de-Fonds sont remarquables. Cela ne l’empêche cependant pas de dénoncer la dépravation des mœurs qui affecterait la population, victime, sur le plan moral, de son succès sur le plan matériel. Son jugement résulte de la sublimation de la vie originelle dans la nature, topos bien répandu à cette époque et renforcé par l'appréhension du danger que constitueraient l’urbanisation et l’expansion des villes. Le voyageur genevois s’efforce alors – pour le cas helvétique uniquement – de constituer une image idéalisée d’un pays où la moralité et la modernité cohabiteraient harmonieusement. Cette conciliation entre nature et ville se retrouve également dans les descriptions que Naville fournit des glaciers ou des forêts qu’il parcourt, où l’élément urbain (édifices, rues, clochers) est repris à titre comparatif pour mieux expliquer ses propos. L’environnement est ainsi associé à un monument. En conclusion, Nicolas de Félice interprète les récits de voyage du Genevois comme une construction identitaire qui a contribué, par le biais d’images stéréotypées, à forger le mythe d’une Suisse libre, moderne et montagnarde.
ROBERTO LEGGERO (Mendrisio) conclut le panel avec un exposé sur les villes alpines dans l’Antiquité et au Moyen âge. Si le concept de monumentalité naturelle est controversé (le monument étant par définition une œuvre humaine), il est toutefois possible de percevoir un versant monumental dans la nature lorsque celle-ci détermine un mode de fonctionnement sociétal. Avec un véritable projet didactique et identitaire, les parcs naturels témoignent ainsi d’une monumentalisation de la nature hissée au rang de symbole national. De même, dans le cas de la période antique et médiévale, certaines pratiques religieuses ou sociales ne se déroulent que dans des lieux et/ou avec des objets naturels. A l’époque romaine, la ville alpine de Suse se dote d’un arc de triomphe. L’arc est situé à l’entrée de la ville emmuraillée, entre le palais de la préfecture et un lieu sacré préromain. En regardant au travers de l’arc de triomphe depuis le palais, on voit le sommet du Rochemelon, la montagne sacrée de Suse. Comme il sert de point de repère pour les futures constructions, l’emplacement de l’arc n’a rien d’anodin, tout comme le panorama qu’il dégage. L’histoire des paysages se caractérise donc par l’intégration de la nature dans la société humaine. Cette relation ville-nature se maintient au à l’époque médiévale. Anselme d’Aoste (1033-1109) voit dans les sommets un lieu d’élévation incarnant la proximité avec Dieu, l’aménagement territorial « chrétien » appliquant dès lors ce type de raisonnement. Le cas de Sion est emblématique. La Basilique de Valère – église fortifiée faisant face au château épiscopal de Tourbillon – se situe sur l’une des deux collines qui dominent la ville. La Cathédrale de Notre-Dame du Glarier est sise au bas de la colline, alors que la Chapelle de Tous-les-Saints a été située à une hauteur intermédiaire entre ces deux espaces, preuve d’une appropriation par l’homme de la topographie des lieux à des fins d’élévation physique et spirituelle. Les monumentalités de la ville et de la nature interagissent donc de manière complexe.
Riche de suggestions et de pistes de réflexion, le panel a permis de mettre en lumière certains traits communs entre les interventions et de faire émerger de nouveaux questionnements pour des projets futurs. Par exemple, pour se limiter à une période récente, le rôle du tourisme dans l’inclusion de la nature en ville, et inversement, mériterait d’être approfondi. Les similitudes entre les récits de voyage d’expéditions menées dans les Alpes ou dans le Jura et ceux issus de périples outre-mer peuvent également suggérer des transferts et circulations.
Aperçu du panel:
De Félice, Nicolas : Découvrir la nature environnante et la décrire: Georges-Constantin Naville (1755-1789) et ses cahiers de voyage
Di Salvo, Andrea : Le paysage des villes. La nature en prêt entre grands horizons et jardins – Il paesaggio delle città. Nature in prestito tra grandi orizzonti e giardini
Leggero, Roberto : Les villes alpines entre monumentalité et nature au Moyen Âge – Città alpine tra monumentalità e natura in età medievale
Evènement
6e Journées suisses d'histoire
Organisé par
Société suisse d'histoire et Université de Genève
Date de l'événement
Lieu
Genève
Langue
Français
Report type
Conference