Au-delà du visuel : l’objet photographique comme archive coloniale

Auteur du rapport
Claire
Hoffmann
Bibliothèque de l'Université de Genève
Citation: Hoffmann Claire: « Au-delà du visuel : l’objet photographique comme archive coloniale », infoclio.ch Tagungsberichte, 04.08.2025. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0364>, consulté le 08.08.2025

Responsabilité : Larissa Tiki Mbassi

Intervenantes et intervenants : Larissa Tiki Mbassi / Naïma Maggetti / Léo Bulliard

Commentaire : Estelle Sohier, Université de Genève

Les débats autour de la place des figures problématiques qui voient leur mémoire honorée par la toponymie des espaces publics sont au centre de l’actualité. Quelles mémoires sont trop visibilisées, et quelles, au contraire, ne le sont pas assez ? Ce panel interroge tant la présence de figures racistes au sein de l’élite culturelle neuchâteloise que l’absence des femmes issues de cette même région au sein des archives de différents fonds missionnaires évangéliques, alors même que leur présence sur le terrain ne laisse aucun doute.

Dans un premier temps, LARISSA TIKI MBASSI (Fribourg) a illustré comment les discours produits autour de la figure de Louis Agassiz ont cristallisé les tensions discursives autour de la mémoire et les hommages rendus à ce dernier. Ces discours, principalement produits par l’élite intellectuelle de la ville de Neuchâtel, ont servi de base pour l’historienne. Après une brève partie descriptive concernant l’état de la littérature ainsi qu’une mise en contexte concernant les débats autour de l’espace Tilo-Frey (anciennement Espace Agassiz) à Neuchâtel, Tiki Mbassi a illustré ses propos par des extraits de discours issus de figures importantes qu’elle définit comme des membres de l’intelligentsia neuchâteloise. L’accent principal de la présentation de l’historienne portait sur la réception de la théorie du polygénisme, une théorie raciste défendue par Agassiz, et sur la manière dont les discours contemporains défendant le neuchâtelois peuvent laisser transparaître les tensions discursives qui habitent les intellectuels neuchâtelois. Pour appuyer son hypothèse, Tiki Mbassi a cité des extraits du discours de Jean-Paul Schaer, ancien doyen de la faculté de sciences de l’université de Neuchâtel. Pour ce dernier, Agassiz est un scientifique ayant produit des recherches importantes dont les opinions étaient partagées par de nombreux penseurs occidentaux de l’époque, le plaçant ainsi dans une lignée scientifique. Or, l’analyse des discours portés par des Noirs américains du XIXe siècle révèle que de nombreux penseurs avaient déjà critiqué le polygénisme. Ainsi, Tiki Mbassi avance que le discours de l’intellectuel neuchâtelois semble justifier, voire excuser, le racisme d’Agassiz en utilisant la science. Ses propos illustrent une tendance à minimiser l’influence des pensées racistes, comme le polygénisme, qui a existé et existe toujours au sein des milieux académiques.

Les deux interventions suivantes, menées par LÉO BULLIARD (Neuchâtel) et NAÏMA MAGGETTI (Genève) se concentraient quant à elles sur des figures absentes de l’espace public et des sources primaires. L’historien et l’historienne se sont intéressés aux missionnaires selon deux angles différents. Maggetti s’est penchée sur le fonds photographique du Musée des missions de Genève, composé de 80 clichés, dont l’objectif était de faire la promotion des missions évangéliques menées par la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP), qui officiait à Genève depuis 1876. De nombreux objets se retrouvent ainsi au sein du musée de la SMEP présent à Genève : des bibles vernaculaires, divers objets et surtout des photos des missionnaires. En outre, de nombreux romands et de nombreuses romandes ont quitté la Suisse entre 1840 et 1914 afin d’évangéliser des populations dans divers pays. Ces missionnaires ont ainsi produit des milliers de photographies mettant en scène leur vie pour promouvoir le mouvement ou collecter des fonds. Le fonds d’archives du musée peut quant à lui être daté entre 1870 et 1880 et semble provenir de différents pays où la SMEP a pu envoyer des missionnaires, soit le Lesotho, le Canada, l’Inde, etc. Les photos du Lesotho sont particulièrement intéressantes. En effet, elles mettent en scène l’environnement naturel dans ces pays en y ajoutant une dimension coloniale de « nature sauvage ». La vie des indigènes et des missionnaires est également représentée à travers des clichés de bâtiments, comme des chapelles, des écoles ou des habitations des indigènes, marquant ainsi un contraste entre les missionnaires « civilisateurs et civilisatrices » et les indigènes. Le but de ces photos apparait comme celui de promouvoir la mission civilisatrice de la SMEP et le modèle de vie occidentale.

La présentation de Bulliard, complémentaire à celle de Maggetti, est consacrée aux femmes missionnaires. En effet, malgré le fait que la plupart des missionnaires de Neuchâtel aient été des femmes et qu’elles aient joué un rôle important notamment dans l’éducation, ces dernières sont absentes des sources d’archives. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, la photographie se démocratise et les clichés se multiplient. Ainsi, si les organisations missionnaires utilisent la photographie à titre promotionnel, les missionnaires l’utilisent aussi pour garder contact avec leurs proches restés en Suisse. Les femmes sur ces photos sont représentées comme des figures maternelles baignées dans les valeurs chrétiennes. La pudeur est de rigueur, en particulier lorsque les photos dépeignent l’intérieur et la vie privée. Bulliard illustre son propos avec les clichés d’une institutrice neuchâteloise, partie seule à 37 ans. Même si la qualité des photos est mauvaise, des détails permettent de deviner le quotidien de cette neuchâteloise qui, pour l’historien, utilise la photographie pour se mettre en scène comme une institutrice zélée, même dans sa vie privée.

En conclusion, ESTELLE SOHIER (Genève) évoque la complémentarité des trois présentations du panel, et souligne la pertinence de la présentation de Tiki Mbassi, car encore récemment à Genève, le boulevard Carl-Vogt ainsi qu’un bâtiment éponyme de l’université de Genève ont été le sujet de nombreux débats similaires à ceux de l’espace Tilo-Frey à Neuchâtel.

Aperçu du panel :

  • Naïma Maggetti : Les archives photographiques du Musée des missions de Genève
  • Larissa Tiki Mbassi : Peut-on parler d’ordres spatial racial et genré dans un pays sans colonies ?
  • Léo Bulliard : Les femmes missionnaires neuchâteloises par le prisme de l’objectif
  • Estelle Sohier: Commentaire

Ce compte rendu fait partie de la documentation infoclio.ch des 7es Journées suisses d’histoire.

Evènement
Siebte Schweizerische Geschichtstage
Organisé par
Schweizerische Gesellschaft für Geschichte
Date de l'événement
-
Lieu
Luzern
Langue
Français
Report type
Conference