CfP: Crise et néolibéralisme en Suisse

31. janvier 2017 - 01:00
Appel à communication
Crise et néolibéralisme en Suisse Atelier d’auteur(e) des 23 et 24 juin 2017 à Berne Depuis la crise financière de 2007-2008, l’hégémonie mondiale du néolibéralisme n’a certes pas volé en éclats, mais son projet, résumé dans la formule «il n’y a pas d’alternative», a perdu une grande partie de son aura. L’apparente domination naturelle et immuable du marché est désormais envisageable comme un phénomène contingent. Si bien qu’à partir du moment où la fin de son histoire est devenue imaginable, des questions sur les débuts et l’imposition du néolibéralisme ont surgi avec une véhémence inédite. Dans le cadre de cette historicisation du présent, la science de l’histoire a découvert son intérêt pour les bouleversements qui ont marqué toutes les sphères possibles de la vie sous l’emprise des réformes néolibérales des quarante dernières années. Dès lors, ce qui était auparavant l’apanage presque exclusif de la recherche en sciences sociales et politiques a glissé depuis quelques années dans le domaine de la réflexion historique. À la faveur du regain d’intérêt pour le néolibéralisme, les historiennes et les historiens ont également focalisé leur regard sur des diagnostics scientifiques antérieurs à ce changement et ont ainsi contribué à ce qu’une nouvelle attention soit prêtée à l’œuvre tardive de Michel Foucault. Peut-être est-il contestable d’affirmer que Michel Foucault a été le chercheur dont l’empreinte sur la science de l’histoire a été la plus forte et la plus durable des dernières décennies. Il est en revanche indéniable que le témoin critique de son temps qu’il fut a fait l’objet jusque-là de peu d’attention scientifique. C’est d’autant plus surprenant qu’il a quand même su discerner événements politiques, ruptures socioéconomiques et évolutions sociales et qu’il les a exactement décrits et interprétés avec originalité. L’un de ces phénomènes était «le néolibéralisme», que Foucault a traité dans le cadre de ses cours sur la gouvernementalité en 1978-1979 au Collège de France. L’aspect intéressant, ici, ne réside pas seulement dans sa tentative d’analyser cette «rationalité gouvernementale libérale». C’est surtout l’incertitude que n’a cessé d’exprimer Foucault sur l’avenir du projet néolibéral qui est passionnante. Il se demandait notamment si le néolibéralisme pouvait atteindre son véritable but, «à savoir une formalisation générale du pouvoir d’État et de l’organisation de la société sur la base d’une économie de marché. Le marché peut-il vraiment avoir une force de formalisation tant pour l’État que pour la société?» Foucault n’est pas parvenu à apporter des réponses à ces questions. Quand il est mort, en 1984, la mise en œuvre du néolibéralisme n’en était qu’à ses débuts. Il a certes décelé les prémices de cette «révolution rampante» (Wendy Brown) mais, en fin de compte, le doute planait sur ses effets – raison pour laquelle il a notamment parlé d’un «pari historique» à l’issue incertaine. L’incertitude de Foucault n’a rien d’étonnant dans une perspective historique, les années 1970 de l’«après boom» ayant été une phase de profonds bouleversements (Anselm Doering-Manteuffel/Lutz Raphael). Son diagnostic d’alors renvoie à un potentiel heuristique encore inexploré sur lequel l’atelier d’auteur(e)s «Crise et néolibéralisme en Suisse» doit se concentrer. En se fondant sur la thèse de Foucault avançant qu’une nouvelle rationalité gouvernementale commence à se renforcer dans les années 1970, l’émergence du néolibéralisme doit être débattue en tant que processus historique évolutif. Pour clarifier dans quels domaines le «marché», principe structurel régulateur, a oui ou non été à même d’informer l’État, de réformer la société et de former de nouveaux sujets, nous souhaiterions parvenir à une perception historiographique du problème qui pense ensemble les deux phénomènes que sont la «crise» et le «néolibéralisme». Dans l’optique des sciences sociales, notre compréhension des «crises» est celle d’un autodiagnostic et/ou d’un diagnostic externe et, dans ce contexte, celle de narrations produites par tout ou partie de la société, au travers desquelles il est tentant de capter les expériences de perte individuelles et les accélérations de la vie sociale, de décrire les situations institutionnelles critiques et de refléter les désordres sociaux. Dans une perspective historiographique, les «crises» peuvent être d’une part considérées comme des tragédies à la Hayden White ou une histoire de déclin, mais aussi d’autre part comme celle d’une réussite ou d’un nouveau départ exigeant des décisions et préludant au «progrès». Les deux interprétations peuvent en outre être comprises structurellement. Autant la première que la deuxième nous semblent heuristiquement appropriées pour jalonner les champs disparates de la genèse du néolibéralisme et comprendre les processus de néolibéralisation comme méthode spécifique de maîtrise des crises – et, par conséquent, comme techniques de gouvernement. Cette façon de procéder nous semble se justifier empiriquement dans la mesure où, dans la conscience et la perception de beaucoup d’habitants des pays industriels occidentaux, les années 1970 ont véritablement été marquées par les crises: des deux «crises du pétrole» à la «crise de l’État social» en passant par la «crise du mariage», la «crise de la foi», la «crise de la masculinité» et la «crise de la quarantaine», et jusqu’à la «crise des boutiques de quartier». En résumé, le champ sémantique de la crise s’est constamment élargi, toujours plus de phénomènes ont été érigés en problèmes et thématisés dans les médias en recourant au concept de crise. Il régnait une atmosphère de crise durable inhérente à une désorientation déconcertante et à une peur de l’avenir très largement répandue. La crise permanente des années 1970 a offert une chance exceptionnelle à la nouvelle doctrine qui voyait dans le «marché» la panacée pour résoudre tous les problèmes imaginables. Pour comprendre le néolibéralisme comme approche globale permettant de surmonter les «crises», voire de technique de gouvernement face à de telles situations, nous partons du principe que le consensus sur les contraintes et les fictions du futur est produit par les discours sur les «crises». En raison des recettes politiques savamment dosées pour rallier la majorité qu’ils recèlent, nous considérons donc qu’ils sont d’orientation futuriste. À l’inverse, et c’est là une de nos thèses centrales, ce sont précisément les pratiques et les discours néolibéraux qui provoquent ces «crises». Le néolibéralisme érigé en technique de gouvernement produit continuellement les «crises» dont il est dépendant. Sur la base de ces hypothèses, nous cherchons pour notre projet de livre des contributions fondées sur les sources relatives aux questions suivantes: premièrement, nous nous intéressons aux discours de crise empreints des diverses nouvelles formes de savoir et méthodes d’argumentation, mais aussi à ceux des nouveaux groupes d’acteurs et d’institutions où les problèmes étaient diagnostiqués. Deuxièmement, il faut déceler ensuite quelles nouvelles ébauches de solutions promettaient de surmonter les «crises» caractéristiques et avec quels arguments elles se confrontaient à des approches plus anciennes et/ou concurrentes. À ce propos, une attention particulière est portée sur les «gestionnaires de crise» et «experts en crises», en partie autoproclamés et très sollicités, tels que conseillers et conseillères, formateurs et formatrices, thérapeutes, mais aussi scientifiques et intellectuels. Troisièmement, il convient enfin d’examiner si et dans quelle mesure les ébauches respectives de solutions négociées fondées sur les logiques de gouvernement orientées sur les besoins du «marché» sont parvenues à structurer vraiment les sphères politiques, les rapports sociaux et les conditions de vie sociales. L’appel s’adresse aux historiens et aux historiennes. L’atelier se concentrera essentiellement sur la période postérieure à 1970 – visant par là une histoire du présent. Nous recherchons surtout des contributions basées sur des sources relatives à l’exemple de la Suisse. Il ne s’agit pas de souligner en premier lieu les spécificités nationales, mais plutôt de partir du principe que les processus mondiaux se concrétisent dans des conditions locales et, à l’inverse, que les discours contemporains de crise et les techniques de domination transcendent les contextes nationaux. Les 23 et 24 juin 2017, 45 minutes environ sont prévues pour la présentation et la discussion de chaque contribution envoyée préalablement. L’objectif de cette rencontre est de débattre sur les premiers résultats des recherches, réflexions et thèses, et de les coordonner pour le projet d’ouvrage. L’atelier n’est pas public, néanmoins des commentateurs et commentatrices scientifiques seront présent(e)s. Nous aspirons par ailleurs à une discussion entre pairs sur les diverses contributions appelées à être finalisées pour l’ouvrage et dont les résultats seront présentés dans un second atelier prévu les 6 et 7 octobre 2017. Nous nous réjouissons d’avance de recevoir des esquisses de recherche de 2 à 3 pages et vous prions de les faire parvenir par e-mail à: leena.schmitter@hist.unibe.ch Dernier délai pour l’envoi des textes: le 31.01.2017. L’information sur l’approbation de la contribution parviendra jusqu’à la fin février 2017.
Organisé par
Regula Ludi, Matthias Ruoss, Leena Schmitter (Universität Bern)

Lieu de l'événement

Universität Bern
-
3000 
Bern

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Matthias Ruoss

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