« Restoring Truth and Sanity to American History » - L'administration Trump à l'assaut de l'histoire

Le 27 mars 2025, le président des États-Unis Donald J. Trump a signé un décret présidentiel intitulé «Restoring Truth and Sanity to American History». Un décret qui menace à notre avis l’exercice de la recherche historique aux États-Unis va à l’encontre des principes fondamentaux des sciences historiques.

Cet «executive order» donne, d’une part, de nouvelles prérogatives au vice-président pour interférer dans la gestions des institutions patrimoniales fédérales (la «Smithsonian Institution», qui compte 21 musées, 21 bibliothèques et de nombreuses autres sites culturels), et, d’autre part, ordonne au Département de l’Intérieur de faire en sortie que les monuments historiques sous sa responsabilité soient purgés de tous contenus qui «dénigrent les Américains du passé ou du présent  (y compris les personnes ayant vécu à l'époque coloniale), et se concentrent plutôt sur la grandeur des réalisations et des progrès du peuple américain sic !».

Le texte prévoit également d’interdire toute dépense pour des expositions ou des programmes qui «divisent les Américains sur la base de la race» et de réinstaller à leur place d’origine toutes les statues ou monuments qui auraient été enlevées ces dernières années de l’espace public.

Le décret remet ainsi directement en cause l’indépendance de recherche historique au sein des institutions fédérales, pour la mettre au service de la branche exécutive du pouvoir des États-Unis. Il reflète en outre une vision de l’histoire rétrograde, qui lui assigne comme unique tâche la production de mythes nationaux et de contenus patriotiques. 

Ce décret présidentiel a déjà été condamné par les deux principales organisations d'historiennes et d'historiens des Etats-Unis (Organization of American Historians; American Historical Association). D'autres voix issues de la profession se sont élevées de nombreux pays pour condamner le décret et exprimer leur solidarité aux collègues américains.

L’acte gouvernemental est divisé en cinq sections. La première, qui détaille les motivations et les intentions du président, s’ouvre sur la déclaration suivante: 

«Over the past decade, Americans have witnessed a concerted and widespread effort to rewrite our Nation’s history, replacing objective facts with a distorted narrative driven by ideology rather than truth. This revisionist movement seeks to undermine the remarkable achievements of the United States by casting its founding principles and historical milestones in a negative light.»

Le paragraphe dénonce, par une série de renversements sémantiques fallacieux, une «réécriture de l’histoire», prétendant défendre une idée de «vérité» et dénoncer un «révisionnisme idéologique». En réalité, il fait précisément le contraire, c’est-à-dire attaquer la vérité historique (notamment les pans de l’histoire des États-Unis relatifs à l’institution de l’esclavage et aux lois de discrimination raciale), et essaye d'imposer une révision de l'histoire sur une base idéologique, dont les fondements sont probablement à chercher du côté des courants réactionnaires du conservatisme américain et des mouvances d'extrême-droite liées au suprématisme blanc. 

La condamnation d'une «réécriture de l’histoire» dénote en outre une conception de l’histoire comme mythe national, qui existerait de toute éternité et ne devrait pas être remis en question. Une conception en contradiction avec la construction du récit historique, qui, au contraire, est tissé de perpétuelles réécritures au fur et à mesure que de nouvelles connaissances sont acquises et que de nouvelles interprétations sont proposées. L’idée même d’histoire présentée ici mérite donc d'être critiquée.

La seconde phrase déplore que l’histoire des États-Unis soit présentée sous une «lumière négative». Au fondement des sciences historiques se trouve la méthode critique, qui se base sur des sources empiriques et en propose des interprétations informées pour jeter un regard objectif sur le passé des sociétés. La capacité de produire une historiographie critique, qui ne cache pas les réalités dérangeantes, les antagonismes qui traversent les sociétés et les crimes commis par le passé est une partie intégrante du travail historique.

Le texte se poursuit avec plusieurs exemples de prétendus abus commis par les institutions patrimoniales. Sont cités un programme de visites guidées du Independence Hall à Philadelphie, le bâtiment où fut signée la première déclaration d’indépendance aux États-Unis en 1776, par les employés du National Park Service, son institution de tutelle, à qui il est reproché de rappeler que ladite déclaration promulguait l’égalité entre les hommes sans pour autant abolir l’institution de l’esclavage; une exposition sur les liens entre la sculpture et la notion de race dans l’histoire des États-Unis, ou encore l’exposition permanente du National Museum of African American History and Culture, accusée de dénigrer la «White Culture». Cette dernière notion relevant aussi d’une construction idéologique douteuse, influencée sans doute elle aussi par des courants culturels d'extrême-droite.

La seconde section donne, comme déjà évoqué ci-dessus, de nouvelles prérogatives au vice-président pour nommer de nouveaux membres au sein de l’organe de pilotage des musées nationaux et imposer cette nouvelle réglementation, y compris pour interdire l’organisation d’expositions basé sur la notion de «race» ou plus généralement les initiatives qui iraient à l’encontre des politiques du gouvernement.

La troisième section prévoit un financement extraordinaire du Independence Hall de Philadelphie, dont l’infrastructure devrait être développée pour accueillir en juillet 2026 les célébrations du 250e anniversaire de la Déclaration d’indépendance. On imagine facilement l’intention d’organiser une grande célébration l’année prochaine à Philadelphie, qui célèbre la «grandeur» des États-Unis tout en faisant table rase des recherches historiques sur l'esclavage et son rôle central dans l'histoire de l'Amérique.

Enfin la quatrième section, intitulée «Restoring Truth in American History», commande au Département de l’Intérieur, responsable entre autres des parcs et monuments nationaux, de faire l’inventaire des monuments retirés de l’espace public depuis janvier 2020 et de réinstaller à leur place tous ceux qui auraient été déplacés. Il s’agit donc de revenir sur les suites du mouvement Black Lives Matters, dont les mobilisations de 2020 et 2021 ont mené au déplacement ou au retrait de nombreuses statues dressées en l’honneur de personnages historiques liés aux États Confédérés lors de la Guerre de Sécession (1861-1865) ou plus généralement à l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. La date de 2020 est intéressante à observer. Récente, elle évite prudemment d’ouvrir la discussion sur d’autres monuments existant liés à l’histoire raciale des États-Unis, comme le Mémorial de Martin Luther King, premier monument dédié à un Américain afro-descendant inauguré en 2011 sur la célèbre esplanade du Mall à Washington.  

Déjà cité ci-dessus, le troisième paragraphe de la section 4, intitulée « Restoring Truth in American History», ordonne aux institutions dont le gouvernement fédéral a la charge «d’assurer que tous les monuments publics, mémoriaux, statues, stèles, statues, plaques commémoratives ou propriétés similaires relevant de la compétence du ministère de l'Intérieur ne contiennent pas de descriptions, de représentations ou d'autres contenus qui dénigrent de manière inappropriée les Américains du passé ou actuels (y compris les personnes ayant vécu à l'époque coloniale), et se concentrent plutôt sur la grandeur des réalisations et des progrès du peuple américain».

En conclusion, il nous semble que ce décret présidentiel est une attaque contre l'indépendance de la recherche scientifique, en particulier celle des sciences historiques. Il montre aussi à quel point les questions historiques sont instrumentalisées politiquement aux États-Unis, et les conséquences désastreuses de cette instrumentalisation pour la pratique de l'histoire. Ce décret révèle de plus la centralité d'une certaine idée de l'histoire dans les motivations politiques des responsables de cette administration. Une idée de l'histoire stéréotypée, au service de la construction d'un mythe national, intransigeante à la critique, quitte à oblitérer certains pans du passé qui ne s'intègrent pas bien dans une narration de grandeur et de progrès, par exemple ceux liés à la longue histoire de la discrimination raciale aux États-Unis. Enfin, cet assaut de l'administration Trump contre l'histoire s'inscrit dans un mouvement qui voit l'arène politique investir de manière toujours plus agressive le terrain des récits sur le passé, et qui met les historiennes et les historiens devant de nouveaux défis complexes quant à leur positionnement au sein de la société.