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Le Creative Lab est une initiative portée par le Consulat de France en Suisse, qui invite chaque année une série d'entreprises françaises actives dans les domaines de la culture et du patrimoine à venir se présenter devant un parterre d'invités des institutions culturelles suisses. L'édition 2023 s'est tenue le 21 septembre à la villa Tscharner, résidence de l'ambassade de France en Suisse.
Après les mots de bienvenue de l'ambassadrice MARION PARADAS et des représentantes de la Banque publique d'investissement et de Business France, respectivement financeuse et organisatrice de l'évènement, la journée s'est ouverte par une table ronde sur les thématiques de l'accessibilité et de l'inclusion dans les institutions culturelles. VIRGINIE BOREL, directrice du Forum du bilinguisme à Bienne, a rappelé combien la question de l'inclusion linguistique était cruciale pour la Suisse, tout en dressant un constat pragmatique: la majorité des citoyennes et citoyens suisses ignorent à peu près tout des coutumes de leurs voisines et voisins des autres régions linguistiques. Ainsi, selon Borel, la Suisse peine à adapter ses offres culturelles à la réalité de son propre plurilinguisme. Les institutions tendent alors à se rabattre sur l'Anglais comme solution par défaut, ce qui a pour effet d'aggraver le problème à long terme. PAULINE SILHOL, d'Universcience, entité qui regroupe les deux musées de la Cité des sciences et de l'industrie et du Palais de la découverte à Paris, égrène l'arsenal impressionnant des mesures d'inclusion de ces deux mastodontes, qui accueillent près de trois millions de visiteuses et visiteurs par an: explications en trois langues, plus langue des signes, braille, et français simplifié; casques pour audiodescription; prise en compte des personnes en situation de handicap dès la phase de conception des exposition; journées spécifiques dédiées aux familles homoparentales ou aux personnes avec des troubles du spectre de l'autisme; panel d'utilisatrices et d'utilisateurs en situation de handicap pour donner des feedbacks sur les dispositifs mis en place; tout cela géré par une équipe de neuf personnes entièrement dédiée aux questions d'accessibilité et d'inclusion. La situation est bien différente au Musée Cantonal des Beaux-Arts (MCBA) à Lausanne, récemment réouvert sur le site Plateforme 10, explique GABRIELLE CHAPPUIS, médiatrice dans l'institution. Selon elle, ce n'est pas tant le manque de moyens qui freine le déploiement des mesures d'inclusion que les priorités divergentes des différents corps de métiers: les conservatrices et conservateurs ne jurent que par l'excellence scientifique, les scénographes veulent à tout prix faire des prouesses esthétiques, ce qui ne laisse que bien peu de place aux médiatrices et médiateurs pour agir. La solution consiste à former le personnel des institutions culturelles aux questions d'inclusion, et à s'armer de patience. La situation en Suisse en matière d'inclusion est largement pire que celle de ses voisins européens, renchérit depuis l'assistance une représentante de Pro Infirmis : l'inclusion des personnes en situation de handicap est totalement absente des politiques culturelles cantonales et fédérales, et rares sont les voix qui s'élèvent pour dénoncer cette situation. L'association a créé un site web, cultureinclusive.ch, pour sensibiliser sur ces questions. Elle dénonce également une certaine hypocrisie de l'Office fédéral de la culture, qui met l'accent sur la participation culturelle tout en ignorant en fait et en acte la question de l'inclusion des personnes en situation de handicap.
La journée s'est poursuivie par une série de rencontres en tête-à-tête de 45 minutes entre représentantes et repréentants des entreprises françaises et invitées et invités des institutions culturelles suisses, interrompue uniquement par une brève collation.
La première rencontre se fait avec SKINSOFT, qui développe des logiciels de gestion de collection pour les institutions culturelles. A l'aide d'exemples, comme celui des Musées de Strasbourg ou de la Fondation Albert Kahn, la démonstration est faite que les logiciels en question comprennent notamment un espace de dépôt pour les images numérisées, des gestionnaires de thésaurus, plusieurs options d'export, un module de recherche à facette, le tout dans une architecture entièrement relationnelle et personnalisée en fonction du profil de l'institution. Pour donner accès aux collections, un complément innovant au portail web est la salle d'exposition virtuelle, comme dans cet exemple d'un musée suédois.
Créer des expériences de visite grâce à la réalité augmentée est la spécialité de REALCAST. Muni d'un casque de réalité mixte, qui permet de voir l'espace environnant tout en affichant en surimpression des images virtuelles en trois dimensions, le visiteur peut vivre une expérience immersive dans un espace d'exposition, comme dans cet ancien hangar de construction de dirigeables ou dans les sous-sols du Musée de la Résistance à Paris. L'entreprise prend en charge toute la réalisation de l'expérience virtuelle, qui s'apparente à la production d'un film ou d'un jeu vidéo: écriture du scénario, casting, motion capture, enregistrements de voix, design des interactions, et mise en espace. Seule limitation pour les exploitants, la nécessité d'acquérir un parc de casques de réalité mixte, qui restent chers et nécessitent une certaine maintenance.
Poursuivant le même créneau, la société GAMAIZER produit des jeux vidéo éducatifs sur commande, destinés à être téléchargés et joués sur ordinateurs. Ceux-ci permettent de préparer ou de prolonger une visite, comme celle du théâtre antique d'Orange, ou de thématiser une question éducative, comme celle des Fake news ou du réchauffement climatique.
Plus conventionnel, mais aussi plus facile d'utilisation, l'audio-guide s'est désormais généralisé dans les musées. Terminé les dispositifs encombrants sur lesquels il faut taper des codes pour appeler des notices; les solutions proposées par LIVDEO, qui compte déjà plusieurs clients en Suisse dont le MAH de Genève, sont basées en ligne et se consultent directement depuis son propre téléphone portable, sans télécharger d'application. Plus de code à taper puisque les œuvres, préalablement enregistrées, sont reconnues directement par la caméra du téléphone. En cas de vitrines avec plusieurs objets, c'est la vitrine qui est reconnue est qui renvoie l'utilisatrice ou l'utilisateur vers les notices des objets qu'elle contient. La valeur ajoutée tient aussi au multilinguisme et à l'inclusion, puisque l'entreprise propose une traduction automatique des notices et la génération de voix de synthèse en plus de 10 langues. Si la qualité des traductions n'est pas parfaite, les touristes chinois sont ravis de trouver des explications dans leur langue, assure le représentant. L'entreprise a développé un exemple en ligne, intitulé FeelTheArt, qui permet de se faire une idée des fonctionnalités. Un module optionnel permet de dialoguer, oralement ou par écrit, avec les artistes auteurs des œuvres, par le truchement de ChatGPT.
En amont de la mise à disposition et de la valorisation des collections vient l'étape de la numérisation. MEMORIST est un consortium qui regroupe cinq sociétés qui prennent en charge toute la chaîne de numérisation, de l'évaluation des besoins à la mise en valeur des documents. Les sociétés qui la composent travaillent dans les domaines de la numérisation des documents (Arkhenum), la modélisation en 3D des bâtiments (Artgp), la numérisation des documents audiovisuels (Vectracom) et celle d'objets rares (Tribvn Imaging). L'entreprise possède près de 400 points de numérisation répartis à travers le monde, dont un récemment ouvert à Genève.
Il faut reconnaître plusieurs mérites à cette initiative de promotion des entreprises françaises: en faisant le choix de consacrer une partie de la journée à une discussion sur les mesures d'inclusion des différents publics au sein des offres patrimoniales, l'évènement a gagné en intérêt pour tous les participants et participantes. Le choix également de ne pas inviter uniquement de potentiels clients directs, mais également des représentantes et représentants des associations scientifiques et professionnelles, est intéressant. Enfin, le format des rencontres en tête-à-tête d'une durée de 45 minutes, même s'il est assez éprouvant, a permis que les échanges débordent du cadre convenu de la promotion commerciale et qu'un véritable dialogue s'établisse entre participantes et participants.