La politisation des questions de sexualité dans un canton en construction

Le lancement en 1971 de l’initiative populaire fédérale pour une libéralisation de l’avortement suscite un important débat et force à considérer les questions de sexualité comme relevant du domaine politique. Les mouvements féministes autonomes en font une revendication claire, les milieux chrétiens et conservateurs s’organisent et s’unissent autour d’une pétition intitulée Oui à la vie. Les questions relatives à l’avortement cessent alors d’être circonscrites à des cercles de spécialistes qui discutent entre elleux et sont soudainement exposées dans l’espace public, et ceci pour l’ensemble de la Suisse. Ce débat national relance en parallèle les questions d’accès à la contraception et à l’éducation sexuelle. Ces discussions, déjà en cours depuis de nombreuses années dans d’autres cantons suisses, touchent certaines régions pour la première fois. Le Jura en constitue un bon exemple. Au moment où culminent les luttes relatives à la Question jurassienne, un groupe de personnes membres de l’Action catholique ouvrière s’emparent de la question de l’accès à l’information sexuelle et décident d’y apporter des solutions à travers la création d’un centre de planning familial à Delémont. Pour aborder comment ce processus de politisation se déploie, je mobilise des outils propres à l’histoire des sexualités, l’histoire des féminismes et la sociologie des problèmes publiques. En m’appuyant principalement sur les archives de la Ville de Delémont, du Centre de Santé sexuelle jurassien, du Bureau de la Condition féminine, ainsi que sur une série d’entretiens que j’ai menés, je tente d’identifier les acteur·rice·s de ce grand processus de politisation, les réseaux (politiques, religieux, médicaux ou encore militants) en mouvement et les moyens employés pour arriver à leurs fins. Je m’intéresse aussi au cadrage du problème, à savoir comment l’absence d’information sexuelle et l’accès à la contraception est présentée comme un problème. Je me penche aussi sur leurs discours respectifs et étudie comment ceux-ci évoluent entre les différents échelons, partant des milieux interindividuels où ils émergent, puis leurs relais dans les champs médiatiques et politiques. Optant pour une focale plus large et comparative, je m’intéresse également aux facteurs spécifiques à la région qui expliquent la trajectoire qu’opère ce processus. Je formule l’hypothèse qu’un lien existe entre l’effervescence progressiste qui caractérise les deux décennies qui précèdent l’indépendance et les dynamiques de politisation des questions relatives à la sexualité. J’interroge donc ceci en étudiant les liens avec les mouvements féministes et la manière qu’ont les institutions du canton de gérer l’héritage progressiste du mouvement indépendantiste.