Atelier sur la préservation des jeux vidéos

Auteur du rapport
Guillaume
Natale
Musée Bolo (EPFL)
Citation: Natale Guillaume: « Atelier sur la préservation des jeux vidéos », infoclio.ch Tagungsberichte, 06.12.2021. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0234>, consulté le 22.10.2024
Version PDF du compte rendu Le second atelier consacré à la sauvegarde du jeu vidéo organisé conjointement par Memoriav et Pixelvetica s’est tenu le 25 octobre 2021 à la Haus der Elektronischen Kunst (HEK) de Bâle. Celui-ci a été l’occasion pour des invités appartenant à divers acteurs du monde culturel helvétique de participer à des tables rondes et des workshops centrés sur cette thématique et d’aborder les multiples questions soulevées par un pan encore trop souvent oublié de notre patrimoine culturel. Il y a également été question des résultats d’un sondage mené par Pixelvetica sur la gestion des jeux vidéo au sein des institutions patrimoniales suisses. Après une présentation initiale de la HEK, où se déroule l’événement par BORIS MAGRINI (Bâle), ainsi que de son processus de curation d’expositions sur des thèmes tels que l’intelligence artificielle ou encore les rapports entre technologie et émotions, celui-ci nous décrit brièvement l’exposition actuelle, Radical Gaming consacrée à des créations vidéoludiques conceptuelles et subversives proposées par plusieurs artistes. TOBIAS WILDI (Coire) nous entretient ensuite sur les impératifs de préservation des jeux vidéo, et plus particulièrement de la culture nationale au travers des productions helvétiques dans ce domaine. Il évoque notamment les travaux qui sont réalisés dans ce sens à la Fachhochschule Graubünden, où l’on travaille par exemple avec les élèves sur les questions d’émulation, de contextualisation et de documentation des jeux en vue d’un article collectif. Suit une présentation par AURORE LÜSCHER (Lausanne) centrée sur l’enquête réalisée par Pixelvetica auprès des institutions patrimoniales suisses afin de déterminer les besoins en termes de préservation et de médiation à l’échelle nationale. Celle-ci a pris la forme d’un sondage soumis à 214 entités comprenant entre autres des institutions publiques et privées, des musées, des offices fédéraux ou cantonaux ou encore des universités. Les réponses obtenues à ce sondage disponible en quatre langues proviennent principalement des musées, archives et établissement cantonaux ainsi que des universités, les compagnies privées ayant plus de mal à fournir des informations dans ce domaine. Elles ont néanmoins permis de dégager des résultats préliminaires intéressants. Environ deux tiers des participants n’ont pas de jeux vidéo dans leurs collections, mais on note une importante disparité entre Romands et Alémaniques. En effet, si 80% des institutions francophones ayant répondu au sondage déclarent en posséder, ce chiffre tombe à environ 20% outre-Sarine. Une seule institution a déclaré avoir une politique spécifique à ce média. La médiation culturelle semble en revanche plus avancée en Suisse alémanique. Les demandes les plus fréquemment formulées concernent la création d’un centre de compétence, d’un guide, ou encore d’un mode de référencement commun. Certaines institutions souhaiteraient en outre la mise en place d’un centre de préservation externe centralisé. La première table ronde de la journée, animée par SELIM KRICHANE (Lausanne) et YANNICK ROCHAT (Lausanne) porte sur les questions de conservation et réunit RENÉ BAUER (Zürich), GUY DRUEY (Genève) et BÉATRICE GAUVAIN (Bâle). Plusieurs points marquants en ressortent. Tout d’abord, une dichotomie entre ce qui est enseigné et ce qui est pratiqué, qui se manifeste notamment par un manque dans le domaine des bases de données d’inventaire accessibles en ligne, comme le souligne Béatrice Gauvain. Guy Druey insiste en outre sur l’important besoin de contextualisation associé à la pratique d’archivage. Il souligne également l’absence de procédure standardisée propre au jeu vidéo. René Bauer précise que la relative jeunesse du média requiert un effort de définition en ce sens. Cela implique de préserver non seulement le « gameplay » (l’expérience du jeu), mais également les fonctionnements sous-jacents et invisibles, notamment le code source. Les intervenants évoquent ensuite la nécessité, à l’échelle helvétique, de considérer les jeux vidéo comme faisant partie intégrante du patrimoine culturel. Les sociétés de développement, dans notre pays, sont principalement de petites structures, comme le souligne Béatrice Gauvain, et ne disposent donc pas forcément de ressources à allouer à cette entreprise. Elles n’ont pas, en outre, l’habitude de documenter de manière exhaustive la création des jeux. Selon René Bauer, celles-ci seraient prêtes à céder leurs codes sources à un institut de préservation, contre la garantie que ceux-ci ne seraient pas immédiatement rendus publics. Incidemment, il évoque la nécessité de définir de manière plus rigoureuse ce qui constitue la « swissness » et la manière de l’appliquer à ce domaine particulier. En conclusion de cette table ronde, les intervenants esquissent ce qui seraient pour eux l’archive idéale : accessible et constituée d’une collection en open data qui soit structurée, réutilisable, en ligne, et qui rende notre héritage culturel accessible à la population. Les jeux devraient pouvoir être pratiqués, et elle devrait tenir compte des médias émergents, notamment des plateformes comme Twitch. La seconde table ronde, quant à elle, est consacrée aux problématiques en rapport avec la médiation culturelle dans le domaine du jeu vidéo. L’animation est assurée par ELEONORE BERNARD (Berne). Elle réunit ROBIN FRANCOIS (Lausanne), BORIS MAGRINI (Bâle) et MARIE-DOMINIQUE DE PRETER (Prangins). La discussion débute avec une approche assez large sur les raisons qui nous poussent à exposer des jeux. Marie-Dominique de Preter évoque l’exposition Games qui s’est tenue au Musée national suisse de Prangins. L’institution a souhaité aborder cette thématique pour toucher plus facilement le public, dans la mesure où c’est une pratique extrêmement répandue. C’est un outil extrêmement efficace, qui permet de lier le visuel et l’interactivité au travers duquel le musée a pu revenir sur nombre de pratiques sociétales. Dans le cadre de la HEK, Boris Magrini décrit la manière dont s’est mise en place l’exposition Radical Gaming. L’idée était de montrer l’usage de la technologie par les artistes. Il ne s’agit donc pas d’une exposition historique ou technologique, mais bien d’une exposition présentant des œuvres tirant parti des moyens offerts par la technologie. Robin François décrit ensuite la manière dont procède le Musée Bolo. Celui-ci sauve et préserve, entre autres, du matériel qui aurait disparu sans cela. Il dispose d’une exposition permanente à l’EPFL, et on le sollicite souvent pour des événements temporaires dans diverses institutions. Le musée a par exemple participé à une exposition au CIO pour les jeux olympiques composée de deux thématiques : les jeux suisses et les jeux de sport. En ce qui concerne l’exposition des pièces, il est bien plus aisé de montrer des jeux que des programmes scientifiques, par exemple, si l’on veut donner à voir une machine en fonctionnement. Ils sont donc un excellent moyen de présenter une technologie. Marie-Dominique de Preter, questionnée sur la difficulté de proposer une telle thématique pour une exposition au Musée national suisse, confirme que cela n’a pas été chose aisée. Cela a également donné lieu à des visites dont le jeu était le seul réel but des participants, comme dans le cas de certaines écoles. Celles-ci ont été structurées en sessions d’une heure, comportant 30 minutes de visite et 30 minutes de jeu. Elle a en revanche pu constater beaucoup d’interactivité intrafamiliale, où les parents faisaient découvrir des jeux qu’ils avaient eux-mêmes pratiqués à leurs enfants. Boris Magrini explique que la réponse à leur exposition est dans l’ensemble très bonne et a même donné lieu à un sujet au journal télévisé. Sur les défis posés par les techniques de conservation dans le cadre d’une exposition, Marie-Dominique de Preter affirme qu’il y a peu de différence avec d’autres œuvres, à l’exception d’un élément majeur : on touche les objets. Cet aspect-là présente toujours des défis pour un musée. Cela soulève également des impératifs spécifiques à prendre en compte pour les techniciens, et il peut y avoir des inquiétudes sur le type de public et son comportement. La journée se poursuit avec une présentation de MAGALIE VETTER (Lausanne) et LUCAS TADDEI (Lausanne) qui reviennent sur les exigences posées par la préservation des jeux vidéo. Il y est notamment question des étapes de la conservation, tant en ce qui concerne les jeux eux-mêmes que la presse spécialisée. L’on y évoque aussi les problématiques principales qui émergent durant le processus, comme la dégradation des composants, les évolutions technologiques ou encore le manque de standards dans le domaine et les différents aspects légaux associés aux lois régissant le copyright. Les participants sont ensuite tous invités à participer à quatre ateliers distincts autour de ces thématiques pour étudier ces aspects de manière plus concrète. L’atelier consacré à la lecture des médias propose d’appréhender les outils et méthodes utilisés pour la lecture et la numérisation d’anciens supports de données, tels que les disquettes et autres supports magnétiques. L’atelier dévolu aux métadonnées s’attelle à élaborer un modèle conceptuel en classant ces informations en plusieurs catégories distinctes qui puissent ensuite être réutilisées et transposées. L’atelier « non-jeu », quant à lui, s’interroge sur tous les éléments et objets périphériques liés directement au jeu vidéo sans être des jeux à proprement parler. On y traite par exemple des boites, des cadres, mais aussi des concept arts, qui s’apparentent plus à de l’iconographie, ou certains éléments qui peuvent être assimilés à de la documentation, comme des flyers d’événements par exemple. Finalement, un atelier consacré à l’émulation propose de tester le même jeu, sur plusieurs types de machines et dans des versions différentes. Cela permet d’expérimenter directement et d’évoquer les deux principales problématiques qui sont liées à cette pratique : les questions techniques, avec les éventuelles différences de restitution et d’expérience qu’elles impliquent, ainsi que les questions d’ordre légal attenantes. L’événement se conclut par une intervention de FELIX RAUH (Berne), vice-président de l’association Memoriav. Il met l’accent sur le travail qui reste à accomplir pour l’acceptation du jeu vidéo comme élément du patrimoine culturel. La vision de ce média évolue lentement mais se dirige dans la bonne direction. Il est important de convaincre les institutions patrimoniales de l’importance de cette problématique. Il reste à effectuer un travail de définition de ce qui constitue un jeu, et il ne faut pas négliger les contextes de production et de réception initiaux. Une autre question d’importance est de savoir à qui incombe la responsabilité de la préservation. S’il existe des institutions qui s’attellent déjà à cette tâche, elles sont encore trop peu nombreuses, et aucune instance centrale d’archivage n’existe au niveau national. Dans son ensemble, cette journée a permis à des participants d’horizons très divers d’aborder de manière sinon exhaustive, du moins la plus complète possible les différentes problématiques de conservation et de médiation entourant notre héritage vidéoludique. Elle a fourni tant un état de l’art des pratiques dans ce domaine qu’une ouverture sur la masse de travail restant à accomplir dans ce secteur particulier en Suisse. Elle a su mettre en avant les nécessités immédiates en matière d’archivage et de standards partagés dans une branche encore jeune de la préservation du patrimoine culturel.
Evènement
Atelier Memoriav: Preserving Video Games
Organisé par
Memoriav et Pixelvetica
Date de l'événement
Lieu
Haus der Elektronischen Kunst (HEK) de Bâle
Langue
Français
Report type
Conference