Presse numérisée entre public et privé

3'000'000 de pages de presse suisse numérisées, c'est l'objectif que s'est fixée la Bibliothèque nationale suisse pour 2015, selon les propos tenus par sa directrice Marie-Christine Doffey lors du colloque infoclio.ch 2009.

Pour la presse et les quotidiens, la numérisation est une solution idéale. Elle en garantit la sauvegarde, évite la manipulation des originaux et, surtout, rend ses contenus immédiatement accessibles. Finie l'époque des longues journées passées en salle des périodiques à dépouiller d'immenses volumes de quotidiens à la recherche d'un article. Aujourd'hui dépouiller 100 années de presse sur un sujet prend...le temps d'une recherche en ligne ! On perd l'odeur du papier acide et le plaisir des vieilles publicités, certes, mais la recherche en est malgré tout beaucoup plus efficace.

Mais la numérisation et la publication sur internet de la presse coûte cher et pose des problèmes complexes de droit d'auteur. Pour accomplir avec succès ce genre de projet, la tendance est de coopérer avec le secteur privé. Ici comme ailleurs, la formule magique s'appelle donc PPP: Partenariat Public Privé.

Ainsi la numérisation intégrale du Journal de Genève (1826-1998 - 550'000 pages), aujourd'hui disponible en ligne, a été rendue possible grâce à une collaboration entre un éditeur, Le Temps, une bibliothèque cantonale, la BGE, et la Bibliothèque Nationale suisse. Sur le même modèle sont prévues les numérisations de la Gazette de Lausanne (1826-1990 - 450'000 pages), du Nouveau quotidien (1991-1998 - 100'000 pages), de L'Express ainsi que celle de L'impartial. Voir à ce sujet la présentation de Mme. Doffey et la plateforme Digicoord.

Cet accord a un grand mérite: garantir l'accès et le téléchargement libre de tous les contenus via internet, tout en laissant aux éditeurs les revenus annexes liés à l'exploitation commerciale (hébergement du site, publicités sur la page, utilisations commerciales, etc.). Ce projet a donné lieux à une série de recommandations, signées par PresseSuisse - l'association des éditeurs de presse romands -, RERO, et la BN. On peut y lire que "la rentabilité financière d'une telle opération demeure aléatoire et l'accès sera donc, en principe, sans frais pour l'usager."

Autre exemple, la numérisation du journal La Liberté et du Freiburger Nachrichten par la BCU de Fribourg. Dans ce cas la BCU Fribourg a assumé seule les coûts de numérisation, puis s'est tournée vers les éditeurs pour demander les droits de publication en ligne. Pour le cas de La Liberté, un accord a été trouvé pour la publication en ligne jusqu'en 1920. Pour les années suivantes, elles sont accessibles en local sur un poste de la BCU. Le problème pour les années récentes, aux dire des éditeurs, concerne les droits d'auteur qui ne sont pas en main des éditeurs, comme les contenus d'agences de presse.

Dernier exemple, le projet Archivio digitale dei Quotidiani e Periodici (AQP) de la bibliothèque de Lugano au Tessin. Ici l'accès est encore plus restrictif: la recherche en plein texte dans les journaux tessinois numérisés est limitée aux bibliothèques cantonales, et les titres toujours en cours sont mis en ligne avec un délai de 6 mois.

A l'heure où la Commission européenne appelle aux alliances entre public et privé pour la numérisation du patrimoine, et que les débats font rage autours de Google et des bibliothèques, les conditions d'accès public et gratuit aux ressources numérisées devraient être un critère central pour différencier entre un bon PPP et un mauvais PPP.