Statistiques d'utilisation des ressources en ligne: problèmes et dépendances

Les statistiques d'utilisation des ressources numériques sous licence étaient le thème du Workshop organisé le 5 avril 2011 à Berne par le Consortium des bibliothèques universitaires suisses.

Le Consortium a deux grandes missions. Il négocie au niveau national les achats de licences avec les éditeurs scientifiques et compile deux fois par année les statistiques d'utilisation des contenus sous licence à l'usage de ses membres. "Négociation" est un grand mot, car comme chacun sait la balance penche largement en faveur des éditeurs, qui imposent les conditions d'achat, les prix et de régulières augmentations annuelles sans qu'on puisse leur résister.

Sur les relations entre bibliothèques et éditeurs, vous pouvez écouter les interviews infoclio.ch de Pascalia Boutsciouci, directrice du Consortium, ainsi que celui de Marin Dacos, directeur de Centre pour l'édition éléctronique ouverte (France).

Comme je l'ai appris hier, les bibliothèques dépendent aussi entièrement des éditeurs pour les statistiques d'utilisation. Il y aurait-il un conflit d'intérêt dans le fait que les prestataires de services soient en même temps ceux qui fournissent les chiffres destinés à évaluer leurs propres services ? Probablement.

C'est d'ailleurs le Sales Manager de Elsevier, M. Neuroth, qui ouvre la conférence et présente le projet COUNTER (Counting Online Usage of ElecTronic Ressources). COUNTER est une association à but non lucratif qui regroupe éditeurs et librairies pour établir des standards en matière de statistiques d'utilisations. Elsevier possède un membre dans le conseil de COUNTER. Il évoque aussi le projet SUSHI (Standardised Usage Harvesting Initiative), censé faciliter la récolte automatique des statistiques d'utilisation, actuellement en phase de test. COUNTER et SUSHI sont par la suite évoqués à plusieurs reprises par des bibliothécaires, qui confirment que ce sont là les principaux outils disponibles en matière de statistiques d'utilisation.

Pourtant, comme le précise Christian Stutz, responsable des statistiques au Consortium, il faut rester vigilant avec les données COUNTER, et de citer plusieurs exemples de dysfonctionnement. Si 90% des périodiques scientifiques sont désormais "countercompatibles", seules 30% des bases de données le sont.

C'est à ce moment que je comprends que la granularité des statistiques, quand elles existent, s'arrête au niveau des journaux, et ne va jamais jusqu'au niveau des articles. Avec un peu d’imagination, on pourrait se demander s'il s'agit là d'un problème technique, ou d'une stratégie destinée à ne pas faire de l'ombre au Journal Citation Reports contrôlé par Thomson Reuters, et qui est aujourd'hui l'un des principaux outils d'évaluation de la recherche scientifique à l'échelle internationale.

La Statistique annuelle des bibliothèques de Suisse de l'Office fédéral de la Statistique (OFS) fournit également des chiffres pour l'Accès aux bases de données (Q71), l'Accès aux périodiques électroniques (Q72) ainsi que pour l'Accès aux sites web des différentes bibliothèques (Q70). Cependant, comme le confirme sa responsable, ces chiffres sont problématiques et doivent être pris de façon indicative, vu la difficulté d'obtenir des statistiques fiables. Par ailleurs, il n'y a pas à ce jour de coordination entre le Consortium et l'OFS sur les statistiques d'utilisation des ressources électroniques.

En début d'après-midi Jean-Blaise Claivaz présente l'ERM (Electronic Ressource Managment) que l'université de Genève est en train de mettre en place pour ses bibliothèques. Il permet de centraliser les abonnements aux ressources numériques en évitant les doublons et l'éparpillement des informations. Par contre cet outil est aussi développé par EBSCO, l'un des grands éditeurs scientifiques. Pas moyen d'en sortir.

Une note d'espoir vient à la pause, quand je surprends une discussion entre deux bibliothécaires très remontées qui parlent du Groupe Open Access récemment mis en place à l'université de Fribourg. Le chemin à parcourir vers un écosystème ouvert de l'information scientifique est (très) long, et passe forcément par un engagement des chercheurs universitaires, qui, pour le moment, du moins dans les sciences humaines, ne semblent pas s'intéresser à ces enjeux.